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à 1850, les îles Soulon ont été successivement visitées par les escadres de la France, des Pays-Bas, de l’Angleterre et de l’Espagne, c’est la France, qui, provoquée, par l’assassinat d’un officier et de deux matelots appartenant à l’équipage de la corvette la Sabine, a en l’honneur d’inaugurer contre ces sauvages le système d’une énergique répression ; les Espagnols ont achevé l’œuvre. En 1850, une escadre, commandée par le capitaine-général des Philippines, don Antonio de Urbistondo, a bombardé Soulou.

On sait que, dans cette partie de l’Asie où les puissances coloniales ont conquis d’immenses et riches territoires, la France ne possède pas même un îlot. Il semble qu’elle ait volontairement déserté ces régions lointaines, dont l’avenir est cependant plein de grandeur. Nous voyons l’activité européenne envahir l’extrême Orient : l’Angleterre recule chaque jour les limites de son empire indien ; c’est à l’habile exploitation de Java qu’il faut demander le secret de la prospérité hollandaise ; l’Espagne trouvera dans les Philippines une source inépuisable de richesses, lorsque la paix et l’ordre auront ranimé au sein de la métropole les grandes entreprises ; le Portugal enfin, si déchu en Europe, conserve encore, dans les mers asiatiques quelques épaves de son ancienne fortune. Pourquoi ne pas comprendre dans ce dénombrement des nations qui se sont partagé les archipels un peuple dont on a longtemps ignoré ou méconnu le génie colonisateur, et qui pourtant est parvenu sans bruit à s’établir sur tous les points, — le peuple chinois ? Les émigrations du Céleste Empire versent sans relâche, des flots de colons sur le sol de l’Asie ; là même où les Européens pénètrent à peine, elles s’aventurent et se fixent ; elles ne redoutent pas le voisinage des pirates de Bornéo ; elles vivent et trafiquent au milieu des pirates de Soulou. — et tandis que tous ces peuples, Anglais, Espagnols, Hollandais, Portugais, Chinois, luttent d’intelligence et d’adresse pour occuper la plus large place sur les marchés de l’Asie, la France reste à l’écart. Elle n’est intervenue dans la Malaisie que pour y châtier une misérable tribu de sauvages, et c’est ainsi que, par un singulier hasard, elle a porté le premier coup aux forbans de Soulou.

Cet incident, qui attribue à la France un rôle fort imprévu dans l’histoire de la piraterie malaise, se rattache aux opérations de l’escadre envoyée dans les mers de Chine pour appuyer l’ambassade de M. de Lagrené (1843-46). Désireux d’assurer un abri à nos navires en cas de guerre et de fonder en Asie un établissement analogue à celui qui avait été créé aux îles Marquises, le gouvernement de juillet avait conçu la pensée d’acquérir l’île de Bassilan qui dépend du groupe de Soulou et qui fait face à l’établissement espagnol de Samboangan, sur l’île de Mindanao. La corvette la Sabine fut donc expédiée à Bassilan pour étudier la côte, et s’y livrer à des travaux hydrographiques. Les Malais ne parurent point s’inquiéter de la présence d’un navire de guerre dont le pavillon leur était à peu près inconnu ; quelques pirogues s’approchèrent de la corvette, et les relations, de part et d’autre, étaient assez amicales. Du reste, afin d’éviter toute occasion de querelle, le commandant avait interdit les communications avec la terre, et les canots étaient exclusivement consacrés à l’accomplissement de la mission confiée aux ingénieurs. Un jour cependant, l’un des officiers, M. de Maynard, obtint la permission d’explorer l’embouchure d’une petite rivière qui se jetait dans la rade à très courte distance,