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en racontant ce petit dialogue, me dit que ceci était un reproche plus ou moins amical de ce que je ne me mets jamais en avant pour attraper quelques mots augustes ou partager la conversation d’après dîner, que même j’ai plutôt l’air de les éviter. Je ne crois pas que cet ami ait deviné juste ; mais, quand cela serait, si l’on est curieux de mon opinion, si l’on attache quelque prix à la savoir ou à s’entretenir avec moi sur les événemens majeurs et les pénibles circonstances du moment (je le dis sans aucun sentiment vaniteux ou orgueilleux), que l’on m’appelle au conseil, ou au moins que l’on m’admette dans le cabinet. Mais pour traiter ces graves et importantes matières à l’antichambre, ou même dans les conversations toujours superficielles et décousues de salon, assis sur un bout de table, comme disait l’excellent comte de Mercy, je n’en suis pas et les évite autant que je puis. » Il se plait à observer l’attitude de chacun, à suivre de l’œil les mouvemens des personnages importans, du roi surtout, et saisit avec plaisir un mot qui échappe dans la conversation. « L’occasion d’être témoin de pareilles petites scènes et celle de faire les observations qu’elles suggèrent, écrit-il en 1831, consolent parfois un peu, mais toujours bien imparfaitement, de se trouver dans une position courtisanesque, qui ressemble d’ailleurs beaucoup, surtout dans des momens pareils, à celle d’un acteur dans les chœurs de la tragédie grecque. » Il est l’admirateur de Lafayette et professe pour le caractère et les talens de.M. Odilon Barrot la plus haute estime. Ses préférences le portent vers le gouvernement constitutionnel, « le meilleur des gouvernemens dans l’état actuel de la civilisation et dans les pays dont l’étendue rend l’établissement de la république encore difficile. » - « Royalistes, s’écrie-t-il quelque part, c’est-à-dire protecteurs du pouvoir héréditaire, efforcez-vous de l’établir, cette monarchie constitutionnelle, et de la faire marcher régulièrement ; c’est le seul port qui reste à votre idée chérie. »

Le caractère de M. Van der Duyn n’est pas moins que ses opinions en opposition avec sa place : il est gouverneur d’une province et il déteste les affaires. Il cherche à se rendre compte à lui-même de cette antipathie, et les raisons qu’il en donné sont naïves et piquantes. « Ma place me déplaît, et je n’y suis pas propre à cause : 1° d’un manque de fermeté dans le caractère, 2° d’une défiance de moi-même qui tient moins toutefois à la modestie qu’à un scepticisme général : voir tous les côtés d’un objet ou d’une affaire rend indécis ; les gens à vue courte et bourrés d’amour-propre sont bientôt décidés et obstinés ; 3° aussi à cause des personnes difficiles à manier par leur humeur et leurs préjugés, avec lesquelles j’ai immédiatement et journellement à traiter, ce qui fait que je me trouve souvent entre l’enclume et le marteau, et continuellement occupé à verser l’eau de la