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la montagne de Haute-Combe : son disque brillant se réfléchissait dans les eaux du lac doucement agitées par une brise du nord ; de grands nuages blancs à formes bizarres passaient rapidement devant la lune, et semblaient à Mina comme des géans immenses. « Ils viennent de mon pays, se disait-elle ; ils veulent me voir et me donner courage au milieu du rôle singulier que je viens d’entreprendre. » Son œil attentif et passionné suivait leurs mouvemens rapides. « Ombres de mes aïeux, se disait-elle, reconnaissez votre sang ; comme vous j’ai du courage. Ne vous effrayez point du costume bizarre dans lequel vous me voyez ; je serai fidèle à l’honneur. Cette flamme secrète d’honneur et d’héroïsme que vous m’avez transmise ne trouve rien de digne d’elle dans le siècle prosaïque où le destin m’a jetée. — Me mépriserez-vous parce que je me fais une destinée en rapport avec le feu qui m’anime ? » Mina n’était plus malheureuse.

Des sons harmonieux se firent entendre dans le lointain ; la voix partait apparemment de l’autre côté du lac. Ses accens mourans arrivaient à peine jusqu’à l’oreille de Mina, qui écoutait attentivement. Ses idées changèrent de cours, elle s’attendrit sur son sort. « Qu’importent mes efforts ? pourrai-je seulement m’assurer que cette âme céleste et pure que j’avais rêvée existe en effet dans le monde ? Elle restera invisible pour moi. Est-ce que jamais j’ai parlé devant ma femme de chambre ? Ce déguisement malheureux n’aura pour effet que de m’exposer à la société des domestiques d’Alfred. Jamais il ne daignera me parler. » Elle pleura beaucoup, « .Je le verrai du moins tous les jours, » dit-elle tout à coup ; et reprenant courage, « un plus grand bonheur n’était pas fait pour moi… Ma pauvre mère avait bien raison : « Que de folies tu feras un jour, me disait-elle, si jamais tu viens à aimer ! »

La voix qui résonnait sur le lac se fit entendre de nouveau, mais de beaucoup plus près. Mina comprit alors qu’elle partait d’une barque dont le mouvement se communiquait aux ondes argentées par la lune. Elle distingua une douce mélodie digne de Mozart. Au bout d’un quart d’heure, elle oublia tous les reproches qu’elle avait à se faire, et ne songea qu’au bonheur de voir Alfred tous les jours. « Et ne faut-il pas, se dit-elle enfin, que chaque être accomplisse sa destinée ? Malgré les hasards heureux de la naissance et de la fortune, il se trouve que mon destin n’est pas de briller à la cour ou dans un bal. J’y attirais les regards, je m’y suis vue admirée, — et mon ennui, au milieu de cette foule, allait jusqu’à la mélancolie la plus sombre ! Tout le monde s’empressait de me parler ; moi, je m’y ennuyais. Depuis la mort de mes parens, mes seuls instans de bonheur ont été ceux où, sans avoir de voisin ennuyeux, j’écoutais la musique de Mozart. Est-ce ma faute si la recherche du bonheur, naturelle