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cause, que M. Augustin Thierry met dans tout son jour, avança singulièrement cette modification, commencée avant l’invasion des Gaules : ce fut la transition par laquelle les tribus conquérantes passèrent de l’état nomade et guerrier à une situation sédentaire, et agricole. L’esclave, transporté de la maison au domaine rural, quittant le service personnel pour le maniement de la charrue, avait déjà, et par ce seul fait, changé de condition : de la catégorie des choses mobilières il était entré dans celle des immeubles. Pendant que l’esclavage se transformait sous l’action de ces causes diverses, mais également puissantes, la classe des petits propriétaires libres allait diminuant chaque jour par l’effet des bouleversemens quotidiens qui transformaient sans cesse cette société mobile comme la mer soulevée par les tempêtes. Ces petits propriétaires, en disparaissant, allaient se perdre dans la classe des colons et dans celle des lites, tandis que, par un mouvement simultané, les esclaves transformés en serfs se rapprochaient à leur tour de cette condition intermédiaire entre l’esclavage et la liberté. Ce fut le premier pas vers la fusion des races par la création d’une population rurale ayant certains intérêts à mettre en commun en dehors de ceux des dominateurs du sol. « Dans le colonat se fit donc la rencontre des hommes libres déchus vers la servitude et des esclaves parvenus à une demi-liberté. »

Cette situation se dessine nettement à partir du VIIIe siècle. Alors commence à se faire sentir dans son énergie souveraine l’action civilisatrice de l’église. Maîtresse de terrains immenses concédés avec les populations rurales qui les garnissent, l’église trouvait groupés sur ses domaines ces colons et ces serfs déjà passés à l’état de semi-liberté. Des chapelles s’élevaient de toutes parts sur les ruines des temples païens, au bord des sources consacrées et dans l’enceinte des cromlechs druidiques. La circonscription immédiate de ces chapelles devint une paroisse, ce premier élément de la vie civile. De nombreux monastères furent construits au sein des solitudes en partie pour les défricher, en partie pour les protéger par une solennelle consécration. Au pied de leur clocher se groupèrent les industries indispensables à la culture renaissante et aux besoins de ces populations si diverses d’origine, mais alors réunies par une même foi et protégées par un même symbole. Tandis que les serfs défrichaient les forêts, ou s’efforçaient de retrouver les traditions perdues des arts, leurs fils étaient admis à s’enfermer dans l’enceinte sacrée ; ils y vivaient dans le recueillement et dans l’étude, sur le pied de la plus complète égalité avec les fils de leurs maîtres, et l’on voyait les rois barbares incliner leur front chevelu devant ces colons et ces serfs couverts du froc monastique ou revêtus de la mitre épiscopale.

Dans les campagnes, sous l’autorité des abbés, — dans les villes, sous celle des prélats, — on vit donc renaître les rudimens de l’existence