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elle peut reconnaître aussi combien a été lente son initiation politique. Je ne voudrais d’autres témoignages que ceux de M. Thierry, d’autres documens que ceux qu’il nous fournit avec une si merveilleuse abondance, pour constater qu’après des luttes séculaires le sens de la vie publique commençait à peine à se développer dans la classe de la nation dont il retrace l’histoire. Qu’on interroge avec nous ce tableau magnifique où dans un cadre restreint se pressent tant de figures et s’amoncellent tant de siècles : ce n’est qu’après avoir résumé les traits principaux que nous chercherons à en tirer une conclusion, ou du moins à formuler quelques-unes des conséquences auxquelles, en nous aidant de ce grand travail, nous avons été conduit.

Rien ne rappelle mieux l’idée du chaos avant l’heure où la parole créatrice eut divisé les élémens et fécondé l’abîme que le flot confus de ces populations barbares destinées à former un jour les diverses nations modernes, en s’incorporant, sous la vivifiante influence du christianisme, les débris des vieilles sociétés renversées par elles. Auprès des malheureux Gallo-Romains dépossédés par l’invasion de la majeure partie de leurs propriétés héréditaires, vous apercevez les Francks, divisés eux-mêmes en deux tribus principales, l’une vivant selon le droit salique, l’autre sous la législation des Ripuaires. Bien avant celles-ci, vous découvrez sur le sol ravagé des Gaules d’autres tribus d’origine germaine, mais déjà rapprochées de la civilisation romaine par des croyances et des habitudes communes, et qui occupent une sorte de situation intermédiaire, entre les sauvages conquérans et les tristes débris de l’empire, tombés de la plénitude du luxe et des jouissances au dernier degré de l’abaissement et de la misère. Chacune de ces races possède un droit distinct, et la répression pénale s’exerce de l’une à l’autre selon la qualité des personnes et la dignité originaire de leur sang. Une seule classe d’hommes reste, sans distinction d’origine, invariablement soumise à l’oppression qui l’écrase et au mépris qui l’atteint. Le Franck, le Burgonde et le Visigoth n’ont guère plus d’entrailles que le citoyen romain ou le Gaulois tributaire pour ces êtres maudits auxquels appartient à peine le nom d’hommes, de telle sorte que, dans l’infinie bigarrure de ces sociétés agitées, où les races sont partout juxtaposées sans être nulle part confondues, l’esclavage apparaît comme la seule institution commune et la seule doctrine universellement admise.

Néanmoins cette rude condition ne tarda pas à s’adoucir sous une double influence. En embrassant le christianisme, les Barbares comme les Gallo-Romains avaient subi l’influence lente, mais certaine, d’une loi de fraternité et d’une religion d’amour. Il suffisait de prier aux mêmes autels, de connaître l’identité d’origine des enfans d’Adam et la destinée commune des membres et des héritiers du Christ, pour que l’esclavage païen subit une transformation profonde. Une autre