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sans même soupçonner l’existence de la future monarchie française dont on les proclamait rois. Dans cette longue galerie qui s’ouvrait à Phramond pour se clore à Louis XV, venaient se ranger, comme des héritiers naturels se succédant les uns aux autres, Clovis en manteau fourré d’hermine, Childéric transformé par Velly en prince aimable, perdant sa couronne pour avoir trop aimé, et les princes fainéans dépeints les uns en moines, les autres en Sardanapales. Puis arrivait Charlemagne, vêtu en roi de cœur ; plus loin, suivaient dans leur rang et ordre les rois capétiens, sans que rien laissât soupçonner ni par le fond des choses ni par la couleur la transformation sociale dont l’avènement de la troisième dynastie avait été la manifestation en même temps que la conséquence.

Dans ces placides récits, on montrait les successeurs de Hugues Capet triomphant, par la seule force de leur droit monarchique, de la rébellion des grands vassaux ; l’émancipation des communes était présentée comme un retour sous la domination directe des rois légitimes ; puis l’on vous faisait voir ceux-ci triomphant de l’Angleterre par leur épée au XVe siècle, comme ils avaient auparavant triomphé de la féodalité. Dans ce programme, le pouvoir royal était le seul pivot de l’activité nationale, l’alpha et l’oméga de l’histoire. L’œuvre principale des écrivains qui se vouaient à l’écrire consistait naturellement dès lors à éclairer les origines de la monarchie, à faire ressortir son antiquité et ses droits, à décrire les batailles où nos rois marchaient toujours au premier rang, et les fêtes brillantes de leur cour, qui avait fait de la France la plus policée des nations en même temps que la première des monarchies.

L’université impériale goûtait assez cette manière d’écrire l’histoire. L’empereur Napoléon, qui tenait fort à hériter de Charlemagne, aimait à voir celui-ci succéder à Clovis, afin de parfaire les quatorze siècles monarchiques dont il entendait être l’expression dernière et suprême. La restauration attachait un prix plus grand encore à renouer la chaîne des temps et à faire émaner de l’initiative royale toutes les institutions et tous les progrès ; mais le temps des lieux communs et des généralités historiques était passé. Une grande révolution s’était opérée dans l’opinion au sein de la France émancipée ; des partis s’étaient constitués autour d’une tribune retentissante, et, pour paraître avec plus d’autorité sur le théâtre des luttes politiques, ceux-ci aspiraient à se donner des racines dans l’histoire. Au grand air de la liberté, tous les horizons furent agrandis, et, sous l’ardent reflet des révolutions, le passé rayonna de lumières inattendues. Deux hommes contribuèrent surtout en France à renouveler les études historiques : M. Guizot par ses cours et M. Augustin Thierry par ses livres imprimèrent à la pensée publique une impulsion féconde