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inductions, ce fait nouveau ne prouve-t-il pas au moins l’assoupissement des passions haineuses dont le meurtre était le symptôme cruel ? Il n’est pas possible, je le crois, de contester l’heureuse influence exercée par les national schools. Si les partis extrêmes se liguent pour les attaquer, c’est qu’elles ruinent l’esprit de l’action. Leur plus grand mérite, quoique ce mérite soit grand, n’est peut-être pas de répandre l’instruction : elles inspirent des sentimens de conciliation, et font comprendre qu’un gouvernement peut n’être pas toujours un ennemi. Les fondateurs des national schools, les hommes impartiaux de toutes croyances appelés à les diriger, seront considérés un jour comme les régénérateurs de l’Irlande. J’ai bien des fois entendu dire à des gens en guenilles : « Les enfans qui grandissent seront moins malheureux que ne l’ont été leurs pères ; ils seront instruite, ils sauront gagner leur vie, ils se détesteront moins. » Ces pauvres gens sont infiniment plus reconnaissans du soin pris pour les instruire que de tous les secours pécuniaires. C’est pour eux la preuve que l’Angleterre ne cherche pas à les dégrader ; cela les charme et les étonne. Si grande que soit leur détresse, les Irlandais ont en horreur le poor house ; ils aiment tant la liberté et peut-être l’oisiveté ! On les voit causer autour de leur feu de tourbe ou au coin d’un champ, appuyés sur leur bêche, comme s’ils étaient des méridionaux. La conversation et, je crains, la conversation politique est la consolation de leur misère ; mais tous savent et quelques-uns disent que les propriétaires ont fait de grands sacrifices pour les empêcher de mourir de faim. Quelles qu’en soient les causes, la famine, l’émigration, la conduite du gouvernement anglais, celle des propriétaires, l’excès des malheurs ou le développement des lumières, la situation s’est sensiblement améliorée, et l’état moral du peuple irlandais ne ressemble pas au tableau qu’on en fait. Il parait être dans une situation incertaine et transitoire plutôt que passionnée. J’ai plus d’une fois adressé cette question à des hommes en guenilles : « A quelle cause attribuez-vous la misère du peuple en Irlande ? » On m’a répondu : « Nous avons pensé ceci, nous avons pensé cela, nous ne savons plus que croire, mais des hommes ne devraient pas être aussi malheureux que nous le sommes. » Dans la classe plus élevée, dans celle qui « mange du pain, » pour répéter l’expression avec laquelle un enfant me l’a une fois désignée, l’amertume parait plus vive, soit qu’on y sente plus fortement les griefs, soit qu’on y exprime plus librement sa pensée.

Néanmoins il y a toujours quelque chose de fondé dans les préjugés, et il sentit superficiel de passer trop légèrement sur les accusations qu’adressent au climat irlandais et à la race celtique les détracteurs de l’Irlande. Lorsqu’on soutient avec raison que l’action