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systèmes se plaît, je ne sais pourquoi, à l’horrible spectacle d’une population tout entière s’expatriant en masse, de toute une race de propriétaires disparaissant du sol, les faits ne marchent pas si vite, et, bien merci, la pratique sera plus modérée que ne le sont les théories. Loin de voir les ouvriers anglais se transporter sur un sol où ne les attire pas un salaire de 8 pence par jour, l’Irlande voit ses propres enfans émigrer en Angleterre. Les Anglais n’ont pas acheté plus d’un dixième des propriétés vendues par la cour des encumbered estates. Sans doute la proportion entre le nombre des catholiques et celui des protestans a changé par suite de l’émigration ; mais la grande majorité du peuple irlandais restera catholique, et la question religieuse demeurera toujours la même. Ce qui supplée le vide de la population n’est pas une population nouvelle, ce sont les changemens agricoles. L’état de l’Irlande est encore trop agité, les préjugés anglais contre ce pays sont trop enracinés pour qu’un grand nombre de fermiers paisibles d’Angleterre vienne transporter ici leur industrie et leurs capitaux. D’un autre côté, si des colons écossais sont venus exploiter quelques parties du Connaught entièrement ravagées par la famine, L’Irlande est trop peuplée, trop civilisée pour exciter l’ardeur des coureurs d’aventures, sa situation n’est pas assez bonne pour séduire les uns, et elle n’est pas assez mauvaise pour attirer les autres. La transformation que subit l’Irlande est donc une transformation intérieure ; c’est elle-même qui se modifie à mesure que sa population diminue, et chaque incident arrête ou précipite le mouvement. Si on n’est pas arrivé au terme de cette transformation, il est certain qu’elle ne sera pas absolue, et pour ne parler que de l’émigration, quoi de plus puéril et de plus odieux que de penser et d’espérer que tous les Irlandais quitteront leur pays ? Comment ! cette race réputée pour son patriotisme abandonnerait sa patrie quand elle pourra espérer y vivre aussi bien qu’ailleurs ! Défiez-vous de ces théories que l’on invente pour justifier les crimes du passé, pour se dispenser d’être humain, pour se réjouir du mal en l’appelant un bien ; si elles charment l’intolérance de sectaires économiques ou religieux, elles n’en sont pas moins condamnables pour être contraires à la vérité aussi bien qu’à la morale. Du tableau fidèle de la situation actuelle des diverses parties de l’Irlande suffira pour le démontrer, en complétant ce que nous avons dit des effets généraux de la dernière famine.

La crise a offert des aspects singulièrement variés, suivant les provinces, suivant les localités, et dans chaque localité en proportion du plus ou moins de fécondité du sol, surtout en raison du mode de fermage. Les colonies presbytériennes établies depuis longtemps dans l’Uster ont fait d’une partie de cette province socialement et moralement quelque chose comme l’Ecosse. On s’y plaît à répéter :