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Ce qui rend très-difficile l’appréciation des affaires d’Irlande, c’est que, par suite de l’accroissement successif de la population et de plusieurs années de famine, les effets de l’oppression se font surtout sentir depuis l’époque même où l’oppression a disparu, c’est qu’ils ont atteint leur maximum dans les temps d’une réparation généreuse. Aussi, il faut le dire, John Bull et les Wild Irish ne se ménagent pas les invectives réciproques ; ils répètent les déclamations du passé quand les faits ont changé de face, et beaucoup de gens doux et pacifiques prennent encore des attitudes, les uns de tyran, les autres de rebelle. Cette tyrannie et cette rébellion ne sont plus maintenant que de vieilles formes oratoires ; pour le démontrer, il suffit d’énumérer les principales mesures adoptées par le gouvernement anglais depuis le grand acte de l’émancipation des catholiques en 1829.

En Irlande, les choses matérielles et morales se tiennent de si près, qu’il convient de placer en première ligne, parmi les mesures salutaires, l’abolition de la taxe pour la réparation des églises protestantes et la commutation des dîmes en un prélèvement fait sur le propriétaire. Aujourd’hui c’est le propriétaire, en général protestant, qui paie directement pour le culte protestant, tandis qu’autrefois c’était le tenancier catholique qui remettait la dîme de ses propres mains dans celles du ministre anglican. Cette concession toute morale était devenue nécessaire à cause des troubles soulevés par la perception de la dîme, car peu importe, au point de vue économique, que l’impôt soit payé par le propriétaire ou par le fermier. Après ce premier pas dans une voie de ménagemens pour les justes susceptibilités des catholiques, le gouvernement anglais, pressé par l’esprit de liberté qui régnait alors dans le monde, obtint du parlement d’autres témoignages d’une tolérance active. On sait qu’une subvention fixe a été accordée au grand séminaire catholique de Maynooth. Quatre grands collèges laïques ont été subventionnés par l’état, et le système nouveau des écoles nationales pour l’instruction primaire a acquis un immense développement. Cinq cent cinquante enfans reçoivent dans ces écoles une instruction plus élevée que celle d’aucun autre pays. Sous le patronage de l’état, catholiques et protestans sont admis dans les mêmes lieux, sous les mêmes maîtres, sur un pied d’égalité parfaite. Plusieurs bills ont déjà passé, et d’autres sont discutés en ce moment pour régler, dans un autre ordre d’intérêts, la question si difficile des droits du propriétaire et du tenancier. Malheureusement, en pareille matière, la législation ne peut rien sans les mœurs et contrairement à l’état social ; plusieurs grosses injustices ont déjà néanmoins disparu de la loi, et si l’importance du tenant right bill est circonscrite dans le présent, elle est grande pour l’avenir.