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plus grande partie de l’Irlande (car la portion protestante de l’Ulster forme un tout à part), ces lois pénales se sont opposées directement à la formation du capital irlandais, et en provoquant un état de malaise moral qui dure encore, elles ont empêché l’introduction du capital anglais. En Irlande, il n’y a guère que des terres nues et des bras sans outils. Le produit de chaque récolte ne sert pas à féconder la récolte suivante. Aucune réserve n’est accumulée, aucune dépense productive ne peut être effectuée. Le propriétaire, riche en apparence, n’est pas le maître de son revenu, qui passe entre les mains des créanciers hypothécaires. Les fermiers n’ont ni avance ni industrie. Cet argent, accumulé de génération en génération, qui rend les fils moins misérables que ne l’ont été les pères, qui fait vivre une population considérable là où languissaient des hordes clair-semées, qui assure une production plus grande pour la même somme de travail, le capital fait défaut, en même temps, lorsqu’une denrée nouvelle, susceptible par le travail à la main de fournir une plus grande quantité de nourriture sur la même étendue de terrain, a été introduite, la population pauvre de l’Irlande a doublé en quarante ans. Tandis que le misérable augmentait sa famille, le propriétaire multipliait ses dettes, se fiant sur l’accroissement temporaire des revenus que créait une situation anormale. Toutes les difficultés sociales, toutes les absurdités agricoles, tous les vices dans la position réciproque du propriétaire et du tenancier, les cruautés et les vengeances, se sont multipliés avec l’accroissement général de la population, accompagné d’une diminution graduelle dans la richesse réelle ; puis, quand est venu le jour où la récolte des pommes de terre a manqué, trois millions d’Irlandais ont péri ou ont été obligés de s’expatrier ! Que ceux qui accusent l’invention des machines et les progrès de l’industrie moderne d’avoir amené le paupérisme veuillent bien prendre la peine de visiter le Connaught ; ils apprendront à estimer l’industrie et la civilisation. Que ceux qui appellent le capital du riche le tyran du pauvre se rendent dans le Connemara ; ils verront une misère sans égale produit de la loi agraire, car on ne peut appeler autrement un état de choses où le terrain est divisé par acre et par demi-acre, et où le tenancier ne paie pas le propriétaire. Qu’on n’attribue pas non plus à la différence de races et de religions la supériorité des environs de Belfast sur le reste de l’Irlande : si la partie protestante de l’Irlande est riche et la partie catholique misérable, c’est que les lois pénales n’ont que partiellement agi dans l’Ulster, c’est que la législation n’a pas été la même pour tous les habitans de cette terre. Ceux qui ont joui de leur liberté naturelle sont actifs et intelligens ; ceux que pendant des siècles on a cherché à dégrader et à abaisser sont restés pauvres et ignorans.