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et tant de courage commanderaient l’indulgence, s’il était jamais permis de se poser en juge sévère de ceux qui donnent de tels exemples de constance, de fermeté et de générosité pratique.


I

Pour donner une idée même superficielle de l’état actuel de l’Irlande, il est nécessaire de rappeler en quelques mots les causes historiques de la misère irlandaise. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, le livre de M. Gustave de Beaumont permet d’épargner les développemens. Cet ouvrage éclaire encore aujourd’hui le procès permanent de l’Irlande. Si des événemens nouveaux sont survenus, si la conduite du gouvernement anglais et de l’aristocratie irlandaise, d’indifférente et d’oppressive, est devenue active et généreuse, les conséquences des crimes séculaires n’en subsistent pas moins. Après les guerres mi-partie nationales, mi-partie civiles qui, pendant des siècles, ont ravagé l’Irlande, les guerres religieuses lui portèrent un coup plus fatal encore. La masse presque entière de la propriété fut confisquée, et le vainqueur, non content d’avoir dépouillé le vaincu, s’efforça de le maintenir indéfiniment dans un état d’abaissement social. Une série de mesures barbares et iniques, appelées les lois pénales, s’opposèrent à ce que les catholiques irlandais pussent acquérir la richesse et l’instruction. Toutes les plaies sociales de l’Irlande datent des lois pénales. La misère irlandaise est fille de l’oppression. La famine de ces dernières années a donné au milieu du XIXe siècle le spectacle d’une famine du moyen-âge. Cette fièvre contagieuse qui a succédé à la famine, et qui a été plus meurtrière qu’elle, c’est une épidémie du moyen-âge. Ce qui blesse nos cœurs, ce qui afflige nos yeux, c’est le spectacle d’une situation qui était celle de toute l’Europe il y a quelques siècles. Ici la transition a été plus brusque ; la marche de la civilisation, si longtemps retardée, a été précipitée ensuite d’une manière artificielle, et surtout il y a eu des témoins, enfans d’une civilisation meilleure, pour dénoncer le crime. Au jour de la justice tardive, l’Irlande s’est trouvée dans une situation économique analogue à celle d’une colonie d’esclaves émancipés, c’est-à-dire avec des propriétaires ruinés, avec un peuple dépourvu d’industrie et de capitaux, sans classe moyenne qui eût pu accumuler des richesses et fût capable de les employer dans l’intérêt social.

Au fond de toutes les questions économiques et agricoles que soulève l’état de l’Irlande, on retrouve toujours comme raison dominante le manque de capitaux. Les lois pénales, qui s’appliquaient aux 8/10èmes de la population, c’est-à-dire à la population entière de la