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puissance avait dépensé des millions et un sang généreux pour délivrer les colonies du dangereux voisinage des Français et des missionnaires papistes du Canada ? Toutes ces raisons et mille considérations secondaires agissaient fortement sur les esprits. À New-York, sur 2,500 électeurs municipaux, on ne put jamais, en mars 1775, faire concourir plus de 929 votans à l’élection des délégués au congrès continental ; dès qu’une force anglaise parut, la ville et la colonie se prononcèrent en faveur de la métropole, et des milliers de volontaires s’enrôlèrent au service de la cause royale. Il en fut de même dans le New-Jersey, et le gouverneur de cette colonie, le propre fils de Franklin, surpris dans sa demeure et enlevé par une compagnie de partisans, refusa de jamais se rallier à la cause de l’insurrection, et émigra en Angleterre dès qu’il en eut la faculté. Dans la Géorgie et les Carolines, la majorité appartenait incontestablement aux loyalistes. En Pennsylvanie, on vit se rattacher à la même cause l’homme le plus considérable de la province, Joseph Galloway, qui avait été le compagnon fidèle de Franklin pendant toute la lutte contre le gouvernement des propriétaires, qui avait été durant de longues années le président de l’assemblée provinciale, qui en 1765 avait pris parti en cette qualité contre l’acte du timbre, et qui avait siégé dans le congrès continental. Il en fut de même d’Allen, qui siégeait aussi dans le congrès, et de Duché, qui en était à la fois le secrétaire et le chapelain. John Dickinson, qui en 1765 avait publié contre l’acte du timbre les Lettres d’un Fermier, tant louées par Franklin et réimprimées en Angleterre, et qui, jusqu’en 1774, avait été le membre le plus actif et le plus influent du parti whig, combattit de toutes ses forces en 1776 la déclaration d’indépendance. Des hommes importans de la Pennsylvanie, Franklin et Hopkinson seuls persévérèrent jusqu’au bout ; la délégation de la province au congrès se trouva également partagée au moment du vote sur l’indépendance, et Morton, qui fit pencher la balance, mourut de douleur un an après, en déclarant que depuis ce jour funeste il n’avait jamais goûté un instant de calme ni reposé paisiblement une nuit. La Virginie elle-même, la Virginie qui avait donné au mouvement révolutionnaire son généralissime et ses officiers supérieurs, au congrès ses orateurs et ses écrivains, la patrie de Washington, de Patrick Henry, de Jefferson, des frères Lee, de Madison, hésitait encore au 15 mars 1776, ainsi que l’atteste une lettre écrite par le colonel Joseph Read à Washington inquiet. Cette lettre nous apprend en même temps l’action puissante qu’exerçaient sur les esprits les écrits de Thomas Paine, et surtout sa brochure intitulée : Commun Sense (leSens Commun).

Le premier nomme de guerre qui mit au service de la cause américaine son expérience et ses talens militaires fut un officier supérieur anglais, le général Lee. Par une coïncidence singulière, le premier écrivain qui accepta complètement la pensée et les conséquences d’une rupture absolue et qui écrivit le mot Indépendance, contre lequel John Adams protestait encore à la veille de la journée de Lexington, fut aussi un écrivain anglais. Ce fut Thomas Paine, qui était établi en Pennsylvanie depuis quatre ou cinq ans au plus, et qui, de juillet 1775 à juillet 1776, publia à Philadelphie un recueil mensuel, le Pennsylvania Magazine or American Muséum, dans lequel il prêchait une séparation absolue avec l’Angleterre. À la fin de 1775, il écrivit dans la