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le public. Ils publièrent à Boston, en 1768, sous le nom du Journal of Occurrences, une espèce de compte-rendu, moitié imprimé, moitié manuscrit, destiné uniquement à enregistrer jour par jour les agressions ou les petits excès dont pouvaient se rendre coupables les soldats des deux régimens cantonnés à Boston et les employés des douanes. Aucun moyen n’était négligé pour stimuler l’esprit public. Lors de la dernière guerre, Franklin avait publié dans la Gazette de Pennsylvanie du 9 mai 1754 un article sur un succès obtenu par les français dans le Canada, et sur l’avantage que leur donnait l’unité de direction et de commandement ; suivant son habitude de toujours traduire sa pensée en images et en comparaisons pratiques, afin de la mieux fixer dans l’esprit des lecteurs, il avait mis au bas de son article, en guise de signature, une vignette en bois, représentant un serpent coupé par morceaux. Chaque tronçon du serpent contenait la lettre initiale d’une des colonies, et au centre on lisait en grosses capitales cette devise : Join or die {s’unir ou périr). Les journaux whigs allèrent déterrer cette vignette de Franklin, pour se l’approprier comme un signe de ralliement, et la plupart d’entre eux la reproduisirent régulièrement en tête de leurs colonnes, avec sa devise significative. La Gazette de Boston tenait toujours le premier rang parmi les adversaires du parlement britannique. Les vides laissés dans sa rédaction par la mort prématurée de Thacher et de Mayhew, par la démence de James Otis, avaient été promptement comblés : Josiah Quincy, Warren, le ministre puritain Chauncy, marchèrent hardiment dans la voie tracée par leurs devanciers. Samuel Adams redoublait de vivacité, et d’efforts ; il apportait dans la lutte une persévérance infatigable, une vigilance de tous les instans, et cette habileté, cette souplesse qui s’allient plus communément qu’on ne croit avec le fanatisme. « Je ne connais pas sous le ciel, disait de lui le gouverneur Hutchinson, d’homme, plus habile à tuer la réputation du prochain. » John Adams lui-même, quoique moins absolu dans ses idées que son fougueux homonyme et d’un caractère plus calme, se laissait entraîner, par la contagion de l’exemple et l’échauffement de la lutte, à d’étranges violences de langage. Dans un tableau d’une éloquence presque sauvage, il comparait les administrateurs de la colonie à une volée de corbeaux abattue sur la Nouvelle-Angleterre, et dont l’avidité ne trouvait de bornes que dans la rapacité plus grande du vautour anglais, auquel il fallait laisser la plus grosse part. Pour expliquer l’opiniâtreté de l’Angleterre, il représentait Grenville, le chancelier de l’échiquier, en face d’un trésor vide et imaginant de taxer les colonies pour jeter une pâture aux cormorans affamés du parlement britannique. Il dépeignait Hutchinson en proie aux tiraillemens de l’avarice, plus impérieux chez lui que ceux de la faim. Si tel était le langage que se permettait un homme éminent et d’un esprit élevé, on jugera facilement des excès auxquels se livraient les journaux de Boston. Le déchaînement de la presse du Massachusetts s’explique jusqu’à un certain point par les mesures de rigueur dont la ville de Boston était l’objet, par la fermeture violente de son port et la ruine de son commerce. Ce que l’on comprend moins aisément, ce sont les outrages prodigués par certains journaux aux patriotes les plus éprouvés. Il n’était pas jusqu’à Franklin, l’habile défenseur des colonies devant le parlement, qui ne fût souvent l’objet de leurs attaques. On lui reprochait, trop de temporisation