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de désintéressement dans sa conduite, de patriotisme et de sagesse dans ses opinions, de clairvoyance et presque de divination dans ses jugemens. Plus la vérité se fera jour, et plus l’historien reconnaîtra qu’après le nom de Washington la révolution américaine n’en offre pas de plus pur que celui d’Hamilton. Le publiciste profond qui devait dans ses écrits jeter les bases de la constitution fédérale, et qui devait être le défenseur et le commentateur encore admiré des lois de son pays, débuta, comme jadis Franklin, par des chansons. Il est vrai qu’il avait alors seize ans. Fils d’un père écossais et d’une mère française, né en 1757 à l’île de Nevis, une des Antilles, Hamilton se trouvait à New-York pour faire ses études au moment où la révolution éclata. John Vardill, dans ses satires politiques, accablait de sarcasmes le parti populaire, et jetait à pleines mains le ridicule sur John Holt et le malheureux Journal de New-York. Hamilton adressa à Holt des réponses en vers burlesques, où il rendait coup pour coup à l’écrivain loyaliste, avec autant de verve que de gaieté. Ce fut là son entrée dans la carrière. Bientôt après, dans une réunion populaire, les avis étaient partagés et la discussion s’égarait, lorsqu’un tout jeune homme, encouragé par ses voisins, profita d’un moment de silence, et par l’éclat de sa parole, par la vigueur et la puissance de son argumentation, entraîna l’assemblée. C’était encore Hamilton. Il devint dès lors le collaborateur assidu du Journal de New-York, et chaque semaine rompit des lances contre son ancien professeur Myles Cooper. Celui-ci s’étonnait des progrès que faisait M. Jay, dont il estimait d’ailleurs le savoir et le talent ; quelles furent et sa surprise et son incrédulité lorsqu’on lui apprit que le polémiste redoutable auquel il avait affaire était un de ses élèves, qui même n’avait point encore tout à fait renoncé à profiter de ses leçons ! Cependant le parti loyaliste redoublait d’efforts : Isaac Wilkins, qui avait déjà publié un écrit remarquable sur la « contestation entre la Grande-Bretagne et ses colonies, » fit paraître, à la fin de 1774, en collaboration avec Seabury, deux attaques très vives contre le congrès révolutionnaire. La première était intitulée : Libres Réflexions sur les mesures prises par le congrès continental ; la seconde : Examen de la continue du congrès par un fermier de Westchester. Ces deux écrits, pleins de talent el d’habileté, et où les conséquences d’une rupture avec l’Angleterre étaient présentées avec force, produisirent une grande impression : le gouvernement anglais les fit réimprimer et distribuer à profusion dans les colonies, sans excepter le Massachusetts. Là le parti populaire répondit à cette distribution en mettant en pièces et en brûlant solennellement tous les exemplaires qu’il put trouver ; mais brûler n’était pas répondre : Hamilton se chargea de cette tâche, et la façon dont il s’en acquitta lui mérita les applaudissemens de tout le parti, le plaça, malgré sa jeunesse, au premier rang des écrivains patriotes, et lui valut le surnom d’apologiste et de vengeur du congrès (vindicator of congress) que les journaux de boston lui décernèrent.

À mesure que la querelle se prolongeait et s’aggravait entre les colonies et la mère-patrie, la polémique des partis s’envenimait. Les chefs de l’opposition dans le Massachusetts ne se contentaient plus ni des philippiques acérées de leurs journaux, ni des correspondances qu’ils avaient organisées entre toutes les colonies, ni des circulaires et des manifestes qu’ils lançaient dans