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et la France à l’Angleterre. La sécurité des personnes et des propriétés n’avait d’autre garantie à Philadelphie que la surveillance négligente de la milice urbaine. On dut au journal de Franklin l’institution d’une garde de nuit permanente et les moyens de subvenir à cette dépense. Ce fut encore la Gazette qui appela l’attention des autorités provinciales et du gouvernement anglais sur la nécessité de mettre en état de défense les côtes et les frontières de la Pennsylvanie.

C’était là, après tout, d’assez grands intérêts, mais Franklin ne dédaignait pas non plus les petites réformes et les améliorations de détail. C’est ainsi qu’il fit paver le marché de Jersey, qui était proche de sa maison, puis sa rue, qui conduisait au marché, puis finalement la ville tout entière. La ville pavée, il s’agissait de la tenir propre. Franklin suggéra et fit adopter un système de cotisation pour faire balayer deux fois par semaine ces pavés dont on lui devait l’idée. Ce grand homme était peut-être plus fier de ces petits succès dus à son journal que de ses plus belles découvertes en physique. Il rapporte ces victoires de sa plume avec complaisance, n’oubliant jamais de dire que c’est à force de causer et de barbouiller du papier qu’il a fait prévaloir telle ou telle réforme utile. Il nous raconte même, à propos d’une idée d’autrui, quelle était sa règle de conduite et sa petite tactique. Un de ses meilleurs amis, le docteur Bond, eut, en 1751, la pensée d’établir à Philadelphie un hôpital pour les malades indigens et les émigrans. Il se donna une peine extrême pour recueillir des souscriptions ; mais l’idée d’un hôpital était toute nouvelle en Amérique, on ne comprenait bien ni le projet lui-même ni les moyens d’exécution, et les démarches du docteur eurent peu de succès. Bond vint conter sa mésaventure à Franklin, ajoutant que si personne ne souscrivait, c’est que lui, Franklin, l’âme de toutes les améliorations, ne se mêlait pas de l’affaire. « Je questionnai le docteur, dit Franklin, sur la nature et sur l’utilité probable de son projet, et recevant de lui des explications satisfaisantes, non-seulement je m’inscrivis parmi les souscripteurs, mais j’entrai de grand cœur dans le dessein de provoquer les souscriptions d’autrui. Seulement, avant toute sollicitation individuelle, j’entrepris de préparer les esprits en écrivant sur ce sujet dans le journal ; ce qui était ma constante habitude en pareil cas, et ce que le docteur avait négligé de faire. » Franklin écrivit donc dans la Gazette de Pennsylvanie deux articles sur le projet du docteur Bond, puis ces deux articles furent réimprimés en brochure et distribués. Les souscriptions affluèrent, et le premier hôpital américain fut fondé.

Si fécond cependant que fut l’esprit de Franklin, il n’avait pas toujours des réformes à proposer ou à patroner ; en outre les nouvelles chômaient quelquefois, la malle d’Angleterre n’arrivait qu’une fois par mois en été, et à de plus longs intervalles encore en hiver. Comment remplir le journal d’une malle à l’autre sans nouvelles d’outre-mer et sans discussions locales ? Les autres feuilles d’Amérique faisaient flèche de tout bois, et on fit dans un journal de cette époque le séduisant appel que voici : « Tous les gens d’esprit, soit en cette ville, soit à la campagne, feraient plaisir à l’éditeur en lui envoyant par écrit et franc de port leurs réflexions. Nous désirons en effet que les affaires de la Nouvelle-Angleterre ne tombent pas dans un complet oubli,