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dans l’intérêt de son journal, « Les appointemens étaient minces, dit-il, mais les facilités de correspondance que me donnait celle position me permirent d’améliorer mon journal, augmentèrent le nombre des abonner et multiplièrent les annonces, si bien que la Gazette finit par me rapporter un gros revenu. » Le préjugé qui avait été préjudiciable à Franklin opérait désormais en sa faveur ; le Mercury perdit ce que gagnait la Gazette, et, satisfait de ce retour de la fortune, Franklin ne songea point à rendre à Bradford le tour que celui-ci lui avait joué en mettant l’interdit sur son journal.

On sera peut-être curieux de savoir quelles étaient la célérité et la régularité de cette poste dont la faveur faisait et défaisait la fortune des journaux. Nous voyons par un avis inséré dans le Boston-News-Letter qu’à la fin de 1714 on établit un service postal entre Boston et New-York, les deux plus grandes villes des colonies. Tous les quinze jours, des courriers partaient de chacun des deux points extrêmes pour se rencontrer alternativement à Saybrook et à Hartford, les deux principaux centres de population du Connecticut, et y échanger leurs sacs de lettres. Chacun de ces courriers distribuait lui-même le long de la route les lettres des stations intermédiaires. Les choses étaient moins avancées encore en Pennsylvanie, ainsi que le prouve l’avis suivant inséré dans la Gazette à la date du 27 octobre 1737, pour annoncer l’entrée en fonctions de Franklin : « Avis est donné au public que le bureau de la poste est établi maintenant chez Benjamin Franklin, rue du Marché, et qu’Henry Pratt est nommé courrier de la poste pour toutes les étapes entre Philadelphie et Newport, en Virginie, il part vers le commencement de chaque mois et revient au bout de vingt-quatre jours. Les particuliers, les commerçans et autres peuvent être assurés qu’il transportera soigneusement leurs lettres et exécutera fidèlement leurs commissions, ayant déposé à cette fin un bon cautionnement entre les mains de l’honorable colonel Spotswood, directeur-général des postes pour toutes les possessions de sa majesté en Amérique. » Six ans plus tard, en 1743, un léger progrès fut accompli : la poste partait de Philadelphie pour New-York tous les huit jours en été et tous les quinze jours en hiver ; la poste pour la Virginie partait une fois par quinzaine en été et une fois par mois en hiver.

Revenons à la Gazette de Pennsylvanie. Franklin avait deux qualités qui ne se trouvent pas toujours réunies chez le même homme : il avait l’esprit à la fois inventif et pratique. Aussi son journal fut-il entre ses mains un puissant instrument de progrès, une tribune toujours au service de toute amélioration, de toute pensée utile. Il ne se bornait pas en effet à traiter les questions politiques, quoiqu’il fût l’âme du parti populaire ; il étudiait avec soin les intérêts locaux. Dès que son attention était appelée sur un mal, il cherchait aussitôt le remède, faisant aussi bon accueil aux suggestions d’autrui qu’à ses inspirations propres et allant droit à l’application. C’est dans son journal qu’il émit plusieurs de ses idées les plus utiles, qu’il fit comprendre, par exemple, à ses concitoyens la nécessité de tenir prêts les moyens d’éteindre les incendies très fréquens et très désastreux dans une ville nouvelle et remplie de constructions en bois. Il en résulta la formation de compagnies de pompiers, munies de pompes déposées en lieu sûr et toujours prêtes à fonctionner, institution que l’Angleterre a empruntée à l’Amérique,