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attirer à son parti les hommes influens par la libre disposition de tant de postes qui donnent honneur et profit. Notre heureuse mère-patrie remarquera peut-être avec satisfaction que si ses coqs belliqueux et ses limiers incomparables perdent de leur feu et de leur intrépidité naturelle, quand ils sont transportés sous un autre climat comme ce peuple l’a été, — du moins ses fils, même à l’extrémité du monde, même à la troisième et quatrième génération, conservent encore cet ardent amour de la liberté et cet indomptable courage qui de tout temps ont si glorieusement distingué les Bretons et les Anglais entre tous les hommes. »

Cette déclaration de principes donna pour abonnés à Franklin tous les membres de l’assemblée ; elle lui fit en outre des recrues dans le gros du parti populaire ; et fut pour lui la source de divers avantages. « Les hommes importans de la province, dit-il, voyant un journal entre les mains de gens qui savaient aussi se servir d’une plume, jugèrent à propos de m’être agréables et de me venir en aide. » Franklin en effet ne tarde pas à devenir l’imprimeur de l’assemblée, puis le rédacteur de ses procès-verbaux. Lorsque la province émit du papier-monnaie, ce fut lui qui fut chargé de l’imprimer, ce qui lui valut par contre-coup l’impression du papier-monnaie des provinces voisines. Aucun autre imprimeur n’aurait pu faire aussi bien que lui et à si bon compte ; pourtant on n’eut peut-être pas songé à lui sans son journal. À la différence de la plupart des hommes qui rejettent volontiers loin d’eux l’échelle dont ils se sont servis, Franklin aima toujours son métier et lui demeura reconnaissant. Quand il enregistre dans ses mémoires quelqu’un de ces petits avantages qui furent pour lui autant de pas vers la fortune, il ne manque jamais de s’écrier : « Voilà ce que me valut d’avoir appris quelque peu à écrivasser ! (to scribble.) »

La Gazette de Pennsylvanie eut bientôt un grand nombre d’abonnés, et le propriétaire de l’American Mercury en prit naturellement ombrage. Bradford, qui était directeur des postes, ne craignit pas, pour nuire à son concurrent, d’interdire aux courriers de se charger de la Gazette, et de prendre aucune lettre, aucune dépêche à l’adresse de Franklin. Celui-ci trouva le procédé peu loyal, et il le déjoua en gagnant à prix d’argent les courriers. Néanmoins le public demeura convaincu que le journal de Franklin était confiné dans Philadelphie, et qu’il avait par conséquent une circulation moins étendue que le journal de la poste, qui pouvait aller partout. Par suite de cette opinion, presque toutes les annonces étaient portées au Mercury, et Bradford se faisait ainsi à peu de frais un beau revenu. Après d’inutiles efforts, Franklin finit par s’adresser au directeur-général des postes, et réclama contre l’usage exclusif de la poste que Bradford s’attribuait au préjudice de ses concurrens et du public. Le directeur-général lui donna gain de cause, et on fit dans la Gazette du 28 juillet 1735 l’avis suivant : « Grâce à l’indulgence de l’honorable colonel Spotswood, directeur-général des postes, l’imprimeur de ce journal est autorisé à expédier la Gazette franche de port sur tout le parcours de la route postale, de la Virginie à la Nouvelle-Angleterre. » Deux ans plus tard, en 1737, Spotswood, mécontent de la négligence que Bradford apportait dans son service et de la façon irrégulière dont, il tenait ses comptes, le destitua et offrit la direction des postes à Franklin, qui l’accepta