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que pas du tout. Le monde regorge de fourbes et de scélérate ; mais de tous les fourbes le pire est le fourbe religieux, et les scélératesses commises sous le manteau de la religion sont les plus exécrables de toutes. On assure que l’honnêteté morale ne suffit pas à conduire par elle-même un homme au ciel ; soit, je suis sûr pourtant que personne n’y entre sans la posséder. — Renfermerais-tu de pareilles gens dans ton sein, O Nouvelle-Angleterre ? Plût au ciel qu’il ne s’en rencontrât aucun ! mais, hélas ! je le crains, le nombre n’en est que trop grand. Certains disent : Trouvez-moi un honnête homme qui se conduise en tout comme un dévot ? Qui aurait cru qu’une pareille distinction fût possible ? C’est que le pays tout entier porte la peine des coquineries de quelques loups revêtus de la peau d’agneaux, et, grâce à eux, nous sommes représentés partout comme un ramassis de fourbes et d’hypocrites. »

Voilà l’article qui mit en émoi toute la ville de Boston, et qui souleva la colère de la législature du Massachusetts. On ne saurait croire quelle passion fut déployée en cette occasion. L’article coupable parut le lundi 14 janvier 1723 ; le soir du même jour, la chambre basse de la cour générale nomma une commission pour étudier l’affaire et présenter un rapport et des conclusions ; le 15, le rapport fut fait et les conclusions votées ; le 16, le bill fut adopté par l’autre chambre et sanctionné par le gouverneur, et il lui signifié le 17 à James Franklin. Le rapport de la commission existe encore dans les archives législatives du Massachusetts ; il est ainsi conçu :

« La commission nommée pour prendre en considération le journal intitulé : Courrier de la Nouvelle-Angleterre et publié le lundi 14 de ce mois, est humblement d’avis :

« Que la tendance du journal est de tourner la religion en ridicule et de déverser sur elle le mépris ; qu’il y est fait un abus profane des saintes écritures, que les fidèles ministres de l’Évangile y sont l’objet de critiques injurieuses, que le gouvernement de sa majesté est outragé, et la paix et le bon ordre des sujets de sa majesté dans cette province troublés par ledit Courrier. Pour prévenir le retour de semblables délits, la commission propose humblement qu’il soit fait à James Franklin, imprimeur et éditeur dudit journal, sévères défenses d’imprimer ou de publier le Courrier de la Nouvelle-Angleterre, ni aucun pamphlet ou journal analogue sans l’avoir soumis d’abord à la révision du secrétaire de cette province, et les juges de session de sa majesté pour le comté de Suffolk, à leur prochaine réunion, sont invités à exiger dudit Franklin caution suffisante de se bien conduire pendant douze mois. »

La peine dont on frappait James Franklin était hors de proportion avec l’offense commise : l’opinion publique en jugea ainsi dès lors ; mais ce qui frappa surtout les colons, profondément imbus des idées anglaises, c’est qu’au mépris des principes fondamentaux de la législation britannique, l’éditeur du Courrier venait d’être pour la seconde fois condamné sans avoir été entendu et sans être jugé par ses pairs. Non-seulement il n’y avait pas de liberté possible pour la presse, mais il n’y avait plus de sécurité pour aucun citoyen, si les assemblées législatives usurpaient le pouvoir des cours de justice, et s’arrogeaient le droit de rendre des arrêts en dehors de toutes les formes consacrées.