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innocent répandu à flots, par suite de l’accusation de sorcellerie portée par des ministres contre quelques infortunés. Aussi, quoique la ferveur religieuse fût loin de s’assoupir, un certain nombre d’esprits commençaient à être impatiens du joug, et ils trouvaient appui chez tous les dissidens. Les ministres défendaient énergiquement leur pouvoir contesté et menaçaient volontiers de recourir à l’emploi de la force, à l’exil et à la persécution, pour rétablir l’unité de foi et ramener le respect de leurs décisions, une intolérance passionnée était encore le trait distinctif du puritanisme. Les Franklin avaient de tout autres idées. Non-seulement leur père et leur oncle avaient souffert pour leur foi religieuse, mais leur grand-père maternel, Pierre Folger, avait toujours été partisan de la tolérance ; il avait même publié en 1675 une pièce de vers où il réclamait la liberté de conscience pour les quakers, les anabaptistes et autres sectaires, alors cruellement persécutés par les puritains du Massachusetts. Par tradition et par principes, les Franklin étaient donc les adversaires du joug que la chaire faisait peser sur la population, et surtout de la contrainte morale, de l’hypocrisie que devait s’imposer quiconque avait une étincelle d’ambition : ils firent la guerre aux faux dévots et à la confusion du sacré et du profane. Aussi ne tardèrent-ils point à être considérés comme des impies, comme des ennemis du Seigneur, et les réunions qui avaient lieu chez James Franklin furent baptisées du nom de club des libres penseurs, et même de club des diables d’enfer. Le doyen des ministres puritains, le vieil Increase Mather, alors âgé de quatre-vingts ans, avait été au nombre des premiers souscripteurs du Courrier ; mais dès le troisième numéro il y reconnut l’inspiration de Satan, et il refusa de le recevoir. Ce fut bien pis quand le Courrier entra en lutte directe avec le clergé sur une question médicale. Les ministres, les deux Mather à leur tête, recommandaient chaudement la pratique de l’inoculation ; les médecins la combattaient comme une innovation dangereuse, et le Courrier, sous prétexte d’impartialité, servait d’organe à ces derniers. La controverse s’aigrit et entraîna même des désordres quand la passion populaire se mit de la partie, Increase Mather ne put y tenir, et le 24 janvier il fulmina dans la Gazette de Boston une véritable excommunication contre le Courrier. Cette pièce extraordinaire, qu’il signa de son nom et qui était un appel direct aux rigueurs du pouvoir civil, se terminait ainsi : « Moi qui ai vu ce qu’était la Nouvelle-Angleterre à ses commencemens, je ne puis qu’être confondu de la dégradation de cette terre. Je me souviens du temps où le gouvernement civil aurait pris des mesures efficaces pour supprimer un pamphlet maudit comme celui-là. Si ces mesures ne sont prises, j’ai bien peur que quelque terrible jugement ne pèse sur ce pays, que la colère de Dieu ne se lève, et qu’il n’y ait point de remède. Je ne puis m’empêcher de prendre en pitié ce pauvre Franklin ; il est bien jeune encore, mais peut être aura-t-il bientôt à comparaître devant le trône et au jugement de DIEU, et quelle excuse donnera-t-il alors pour avoir imprimé des choses si indignes et si abominables ? Et je dois en conscience inviter les abonnés du Courrier à réfléchir aux conséquences d’être complices des crimes d’autrui, et à ne plus soutenir ce journal de perdition. »

Le Franklin s’empressèrent de réimprimer l’excommunication d’Increase