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été peut-être signé sans la noble résistance de lord Cowper, qui refusa de le sceller. La hauteur de sa femme, la froideur de Godolphin, la vivacité de Sunderland, pesaient à la reine, qui se voyait comme captive d’une seule famille. Lord Somers avait plus de mesure et de douceur. On a loué ses manières aimables, mais son goût et sa santé n’en faisaient pas un membre actif du cabinet ; il s’effaçait même volontiers, et ne savait que motiver avec supériorité son avis dans le conseil. Tant que la guerre durait, le ministère pouvait se croire nécessaire, puisque Marlborough était indispensable ; il ne faisait pas de doute, par politique comme par intérêt, que la guerre ne dût être poussée à outrance et continuer d’être heureuse et populaire. Il ne songeait pas assez que toute guerre n’a qu’un temps, que la victoire même conduit au désir de la paix, qui en est la récompense naturelle, et qu’il ne faut pas s’exposer au soupçon d’exploiter, dans un intérêt ministériel, jusqu’à la gloire de son pays.

Aux élections de 1708, Saint-John n’avait pas été réélu, tant le mouvement de l’opinion était contraire à son parti. À cette époque, il disparaît complètement de la scène politique. On dit que pendant deux ans il s’adonna sérieusement à l’étude et perfectionna les talens littéraires qu’il devait déployer dans la seconde partie de sa vie. Lui-même a prétendu que sa retraite fut alors celle d’un philosophe, quoiqu’un de ses amis ait proposé pour le pavillon où il travaillait une inscription cyniquement expressive, dont nous n’oserions, même en anglais, citer les vers. « Il est vrai, écrivait-il en français, en 1711, à un ami de sa jeunesse, que je me suis retiré, il y a trois ans, à la campagne, et il est aussi vrai que j’y ai passé mon temps dans la lecture et les plaisirs champêtres, sans avoir jamais regretté ou la cour ou cette fortune riante dont mon ambition s’était flattée. » Il est probable cependant que ces deux années d’études ne furent pas perdues pour le plaisir et pour l’intrigue. Saint-John n’était pas homme à négliger l’un ni l’autre. Harley, son maître et encore son ami, devait le tenir quelque peu au courant des menées secrètes qu’il n’avait pas interrompues.

La reine était vaincue, mais non résignée. Son amour-propre et sa conscience, ses affections et ses préjugés, tout souffrait en elle. Avec son nouveau ministère, l’église lui paraissait livrée aux esprits forts et l’état aux républicains. Les exploits de Marlborough commençaient à l’embarrasser au lieu de l’enorgueillir, et à lui faire désirer davantage une paix qu’ils lui rendaient plus facile. Elle n’osait encore, dans sa pensée, secouer le joug d’un défenseur si illustre et si populaire ; mais elle trouvait chaque jour plus gênante la présence de celle qui négligeait également de lui plaire et de la conduire. Devant lady Marlborough, elle était contrainte et n’était plus dominée. Capricieuse dans