Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’on s’attaqua. Godolphin et Marlborough l’appuyèrent de leurs votes. Le prince de Danemark, qui siégeait comme duc de Cumberland, et qui lui-même était conformiste occasionnel, puisqu’il était luthérien, vota comme le ministère ; seulement il disait à lord Wharton dans son anglais germanique : « Mon cœur est avec vous » (my heart is vid you). Toutefois des amendemens furent adoptés. Un conflit s’éleva entre les deux chambres, parce que celle des lords avait réduit le taux des amendes et paru statuer ainsi en matière de taxation. On chicana, on conféra ; Saint-John alla dans la chambre peinte argumenter contre Somers, et Bromley contre Halifax ; puis enfin l’on persista ; la chambre haute maintint ses trois amendemens, chacun à une voix de majorité, et chaque fois cette voix ne fut pas celle du même pair, Enfin, pour cette session, le bill fut perdu.

Cependant il était appuyé au dehors par une opinion très forte : dans le peuple, il trouvait des adhérens passionnés ; les femmes surtout se montraient fort exaltées. Ce qui prouve néanmoins que la mesure n’était religieuse qu’en apparence, c’est que la plupart des évêques votèrent avec l’opposition. Ainsi les évêques n’étaient pas de la haute église, car c’est de ce temps surtout que date la distinction usitée entre la haute et la basse église : l’une signalée par une orthodoxie étroite, zélée pour la monarchie au point de soutenir le principe de l’obéissance passive, cherchant l’appui de la cour et le monopole des dignités de la hiérarchie, jacobite, ou peu s’en faut, à force d’absolutisme ; l’autre, plus populaire par ses mœurs et ses maximes, passionnée pour la révolution, dévouée à la succession protestante, presque presbytérienne par haine du pouvoir absolu. Celle-ci avait pour elle l’archevêque de Canterbury et la majorité de l’épiscopat ; celle-là, l’archevêque d’York et l’évêque de Londres. De là deux grands partis, au fond beaucoup plus politiques que religieux. De l’aveu de Swift, qui n’est pas un témoin suspect, la reine, elle-même n’avait pas grande crainte pour l’église, et en la défendant ne songeait qu’aux intérêts de son pouvoir. Le parti de la haute église, des tories de haute volée, des high flyers, comme on les appelait, était celui de la cour, celui du ministère, celui de Rochester, de Buckingham, de Nottingham, celui que Harley comblait de caresses, celui dont Saint-John se fit avec effronterie l’énergique instrument. Le bill de la conformité occasionnelle devint la pierre de touche qui servit, jusque dans le torisme, à distinguer les ardens et les tièdes. Repris souvent et sans succès, il divisa souvent la majorité, et ne finit par triompher qu’au moment où l’esprit qui l’inspirait touchait au terme de son pouvoir.

Quand on n’a pas vécu dans les temps de révolution, on a peine à s’expliquer la conduite des partis à cette époque de l’histoire d’Angleterre :