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Marlborough et Godolphin passaient pour l’être ; mais le premier ne pensait qu’à sa propre grandeur, et l’autre, homme froid et grave, aimant le pouvoir, mais aimant l’état, médiocre en talens, mais non en jugement, en intégrité, en fermeté, n’avait les préjugés d’aucun parti. Cependant toute l’administration aurait paru homogène, même exclusive, si les ducs de Devonshire et de Somerset n’eussent, en leur qualité de membres du conseil privé, exercé quelquefois une influence modératrice. Ils grossirent la majorité qui, dans le premier conseil, décida, contre le vœu de Rochester, que la politique du feu roi serait suivie et que l’Angleterre agirait, non comme auxiliaire, mais comme partie principale dans la guerre qui éclatait. Le vent de l’opinion publique soufflait dans ce sens. Les récens adversaires du traité de partage ne pouvaient être contre la politique de guerre. Harley, qui sans être ministre demeurait chargé de la direction de la chambre, suivit en cela le mouvement du ministère, et Saint-John, qui s’était étroitement attaché à lui, a toujours reconnu que la guerre de la succession était nécessaire.

Harley était presbytérien d’origine ; Saint-John avait été comme nourri dans le puritanisme. L’un et l’autre pourtant s’étaient jetés dans le parti de l’église. Les whigs étaient dissidens ou s’appuyaient sur les dissidens. Les tories, soupçonnés d’être jacobites, ménageaient les jacobites. Le danger de l’église protestante menacée par les dissidens, le danger de la succession protestante menacée par les jacobites, tels étaient les deux griefs ou les deux prétextes dont les deux partis s’armaient l’un contre l’autre, comme des seuls moyens d’exciter les passions publiques. La cause de l’église était donc celle qu’affectaient de servir un indifférent comme Harley, un profane comme Bolingbroke. Seulement l’un la soutenait avec des ménagemens pour les dissidens qui lui gardaient un reste de confiance, l’autre avec une ardeur qui rachetait sa vie scandaleuse et son incrédulité soupçonnée. Tous deux voyaient que le protestantisme épiscopal était, après l’amour de sa prérogative, le plus stable des sentimens de la reine, et le disputait pour le moins à l’amour de la liberté politique dans le cœur de la multitude. Là donc ils prenaient tous deux leur point d’appui. Harley, prudent jusqu’à l’indécision, réservé jusqu’à la dissimulation, savait gagner sans éclat une utile influence sur les hommes. La souplesse de son esprit égalait celle de son caractère. Sans inspirer à personne une foi entière, il donnait à tous des espérances, et son habileté dans la diplomatie parlementaire semblait le réserver à un grand pouvoir, dont son aptitude aux affaires l’aurait rendu digne, si l’hésitation et l’artifice n’eussent à la longue compromis sa réputation et son autorité. Plus jeune et plus brillant, moins gouverné par l’expérience, plus entraîné par ses