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ni ses amis. Élevée dans les idées de la pure église anglicane, elle avait par zèle protestant adhéré à la révolution, mais elle regardait l’autorité royale comme sacrée, la tolérance religieuse comme une faiblesse, les dissidens comme des hérétiques ou des profanes, les whigs comme des républicains. Les tories l’avaient soutenue contre le roi, d’après l’usage invariable de toute opposition d’appuyer l’héritier de la couronne contre la couronne même, et c’est à eux qu’elle croyait devoir l’avantage de tenir sa dotation et tout son établissement du parlement et de la loi, non de la munificence royale. Son avènement présageait donc celui des tories. Son mari, le prince George de Danemark, était pour eux, quoique avec modération, et elle avait toute confiance dans le comte de Rochester, son oncle, qui était comme leur chef. Cependant sa première affection semblait toujours appartenir à la célèbre Sarah Jennings, comtesse de Marlborough. Cette confidente de sa jeunesse et de ses disgrâces avait lutté avec elle et pour elle contre les volontés de Guillaume III, et, quoique déjà son impérieuse autorité se fit pesamment sentir, elle était encore la plus forte. Les souvenirs d’une affection de vingt ans. L’habitude, la faiblesse, cette obstination d’amour-propre qui empêche de rompre, car une rupture ressemble à l’aveu d’une erreur, tout soumettait encore la reine à l’ascendant d’une femme supérieure, dont l’âme était grande, mais altière, ambitieuse, violente, passionnée d’amour et d’orgueil pour la gloire de son mari. Lady Marlborough n’aimait ni lord Rochester, ni lord Nottingham, ni l’église, ni les tories. Si elle eût été absolument libre, elle aurait laissé aux whigs une grande part du gouvernement ; mais, disgraciée sous le dernier règne, elle comptait, ainsi que lord Marlborough, dans le parti opposé. Elle n’entreprit pas de lutter ouvertement contre le courant qui le ramenait au pouvoir. Il lui suffit d’être la maîtresse de la cour, avec les titres de première dame, d’intendante de la garde-robe et de la cassette, et de gouvernante du parc de Windsor[1], tandis que son mari commanderait les années. Il voulait la guerre, et seul il pouvait la conduire. La reine, qui la trouvait toute décidée et qui la savait populaire, consentait à la déclarer, et, pour la faire, Marlborough annonçait qu’il ne pouvait répondre de rien, si les finances ne dépendaient entièrement de Godolphin, son allié. C’est ainsi que Godolphin fut lord trésorier et que Rochester redevint lord lieutenant d’Irlande. Le prince de Danemark, qui entrait dans le cabinet comme lord grand amiral, les autres ministres, les deux secrétaires d’état, lord Nottingham et sir Charles Hedges, étaient tories.

  1. First lady of the bed chamber, lady of the wardrobe, groom of the stole, keeper of the privy purse, ranger of Windsor.