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sans que le successeur de Liholiho, le roi Kamehameha III, en fût moins solidement assis sur son trône, sans que les volontés de ses conseillers en fussent moins strictement obéies.

C’est une belle mission que celle qui attend nos navires dans ces mers lointaines, où on les voit trop rarement apparaître : ils n’y vont pas défendre les intérêts d’un étroit fanatisme ; ils sont chargés d’y protéger les droits les plus sacrés de la conscience humaine et de réclamer pour l’humanité tout entière la liberté de choisir ses autels et de chercher son dieu. Tel était le devoir qui avait conduit à diverses époques devant Honoloulou les frégates l’Artémise et la Vénus, les corvettes la Bonite et la Boussole, la Virginie et la Poursuivante, La Bayonnaise venait à son tour jeter l’ancre à l’entrée de ce port. Nous n’avions plus ni réclamations à faire valoir, ni griefs à redresser. M. le contre-amiral Le Goarant, qui nous avait précédés de quelques mois, s’était amplement acquitté de ce soin. Nous venions rappeler au gouvernement des Sandwich que la France ne perdrait jamais de vue cet important archipel, et que, sérieusement attachée à son indépendance, elle ne souffrirait point qu’une domination étrangère vint s’y établir sous le manteau de l’intolérance religieuse.

La Bayonnaise ne devait s’arrêter que quelques jours à Honoloulou, et nous vîmes arriver sans regret le terme fixé à notre mission. Des sentiers envahis par des flots de poussière, un peuple dans cet âge ingrat où les nations ont perdu la naïve élégance de leurs vieilles coutumes sans avoir eu le temps d’acquérir aucun des raffinemens de la civilisation, un gouvernement tremblant sous la férule des docteurs qu’il maudit et redoute, des trafiquans de tous les climats guettant de ce poste avancé l’occasion d’un voyage aux bords dorés de la Californie, telles étaient les séductions que la métropole des Sandwich pouvait nous offrir. Chaque matin, avant que le soleil eut rendu les quais poudreux d’Honoloulou et ses rues sans ombrage presque impraticables, nous venions débarquer au fond du canal qui serpente doucement entre deux longues chaînes de madrépores. Il était impossible de contempler sans intérêt l’activité de ce marché polynésien, dont les produits allaient incessamment s’échanger contre l’or du Nouveau-Monde. Des navires venant de San-Francisco, et prêts à repartir pour Hong-kong ou pour Calcutta, arrivaient à chaque instant sur la rade ; d’autres se lançaient sous toutes voiles dans la passe étroite qui s’ouvre entre les coraux, et jetaient aux Kanaks rassemblés sur le récif une amarre qui servait à les traîner jusqu’au milieu du port. Si nous nous détournions vers les rues adjacentes, nous y trouvions encore le mouvement d’une grande ville et l’empreinte bizarre d’une civilisation naissante : de nombreux cavaliers se croisaient sur la chaussée avec d’intrépides amazones dont les