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que nous venons de le dire, devient une statue. La première partie du mot signifie un corps solide, un corps saillant, un objet réel, et non pas seulement une représentation sur le papier ou sur la toile. La seconde partie du mot signifie vision. Le nom de stéréoscope indique donc la vision en relief, et jamais instrument n’a été plus fidèle à son nom.

Défini par énumération, le stéréoscope a pour objet la représentation naturelle et pour ainsi dire statuaire de tous les objets de la nature que peuvent reproduire le crayon, le pinceau, la chambre noire, le daguerréotype, le talbotype, enfin tout ce que peut contenir l’album le plus riche et le plus varié.

Théoriquement, la portée de ce modeste instrument n’est pas moindre. Pour faire naître ses magiques illusions, il introduit dans chaque œil, au moyen d’un double dessin ou d’une double peinture, la même sensation que les yeux auraient reçue de la vision naturelle, et la conséquence est que la sensation qui en résulte est parfaitement celle que nos yeux reçoivent des objets eux-mêmes, en sorte que s’il reste encore aux physiciens ou même aux métaphysiciens des incertitudes sur les causes morales ou physiques qui nous font percevoir si bien le relief des corps par la vision naturelle, le stéréoscope n’a rien à voir dans ces discussions. Il suffit de dire qu’il peint au fond de nos yeux les objets de la nature, comme ils s’y peignent quand nous les regardons eux-mêmes, et qu’ainsi nous les voyons à l’aide du stéréoscope exactement comme s’ils existaient devant nous.

Il va sans dire que déjà la construction du stéréoscope a éprouvé bien des modifications. Partons du stéréoscope à boîte armée de deux tuyaux oculaires et mettons-y d’abord un double daguerréotype de paysage ou d’architecture monumentale. Le daguerréotype de droite sera vu par l’œil droit seulement, le daguerréotype de gauche sera vu de même exclusivement par l’œil gauche, et si l’artiste a pris les deux points de vue comme les aurait vus le spectateur, en fermant alternativement l’œil droit et l’œil gauche, le contemplateur stéréoscopique recevra par l’instrument la même impression qu’il eût reçue de la nature elle-même ; le paysage, le monument, renaîtront devant lui. Il se promènera par la vue entre les arbres fuyant les uns derrière les autres comme dans une forêt, et les colonnes, les arcs-boutans, les statues du monument, laisseront la vue tourner tout à l’entour et pénétrer entre les parties saillantes et la masse centrale de la fabrique.

Si, au moyen d’une double représentation, on a dessiné une figure entière, un buste, un portrait, une machine d’industrie même très compliquée, un échantillon d’histoire naturelle, un solide géométrique, le stéréoscope rendra ces objets présens. Le sculpteur, le modeleur pourra les reproduire comme d’après nature ; le peintre ou le dessinateur pourra les repeindre ou les redessiner en les prenant d’autres points de vue que ceux qui ont été primitivement choisis. Il n’est point de paroles qui puissent rendre les exclamations de surprise qui éclatent de tous côtés, lorsque l’introduction des stéréoscopes a lieu dans une société ou une soirée un peu nombreuse, et que chacun de ceux qui ont trouvé un effet étonnant de stéréoscope veut le faire admirer au point de vue qui le frappe lui-même le plus incroyablement. Au reste, la reproduction par la sculpture d’un double dessin stéréoscopique n’est point seulement une possibilité, l’épreuve en a été faite avec le plus grand succès.