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« J’ai l’honneur d’être avec tous les sentimens que vous savez si bien inspirer, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

« Estaing. »


Le ministre de la marine s’empresse de faire passer cette lettre à Beaumarchais, qui répond ainsi au ministre :


« Paris, ce 7 septembre 1779.
« Monsieur,

« Je vous rends grâce de m’avoir fait passer la lettre de M. le comte d’Estaing. Il est bien noble à lui, dans le moment de son triomphe, d’avoir pensé qu’un mot de sa main me serait très agréable. Je prends la liberté de vous envoyer copie de sa courte lettre, dont je m’honore comme bon Français que je suis, et dont je me réjouis comme l’amant passionné de ma patrie contre cette orgueilleuse Angleterre.

« Le brave Montaut a cru ne pouvoir mieux faire, pour me prouver qu’il n’était pas indigne du poste dont on l’honorait, que de se faire tuer : quoi qu’il puisse en résulter pour mes affaires, mon pauvre ami Montaut est mort au lit d’honneur, et je ressens une joie d’enfant d’être certain que ces Anglais, qui m’ont tant déchiré dans leurs papiers depuis quatre ans, y liront qu’un de mes vaisseaux a contribué à leur enlever la plus fertile de leurs possessions.

« Et les ennemis de M. d’Estaing, et surtout les vôtres, monsieur, je les vois ronger leurs ongles, et mon cœur saute de plaisir !

« Vous connaissez mon tendre et respectueux dévouement.

« Beaumarchais. »


Cependant la joie du patriote se trouvait un peu mitigée par les angoisses du négociant. Le rapport du capitaine en second du Fier Roderigue, qui avait pris le commandement après la mort de son chef, arrivait en même temps que le billet de l’amiral d’Estaing. Ce rapport était également très satisfaisant au point de vue de la gloire de Beaumarchais, mais il était très inquiétant au point de vue de sa caisse. Dans cette circonstance, l’armateur adresse au roi la lettre suivante :


« 11 septembre 1779.
« Sire,

« Je ne viens pas vous demander le prix de mes travaux ; vos sages ministres savent que mon souverain bonheur serait qu’ils pussent être tous utiles à votre majesté.

« Je ne demande point le prix de la campagne du Fier Roderigue, trop honoré qu’un vaisseau à moi ait mérité l’éloge de l’amiral en combattant en ligue dans une escadre conquérante.

« Mais, sire, la guerre est un jeu de roi qui écrase les particuliers et les balaie comme la poussière. Le Fier Roderigue convoyait dix autres navires destinés à des opérations de commerce également utiles à l’état sous une autre forme.

« La mort de mon premier capitaine, trente-cinq hommes hors de service, le délabrement de mon vaisseau, le plus maltraité de l’escadre (ayant eu