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encore à l’Angleterre le pouvoir de nous prévenir et d’offrir à l’Amérique cette même indépendance au prix d’un traité d’union très offensif contre nous. Or, dans ce chaos d’évènemens, dans ce choc universel de tant d’intérêts qui se croisent, les Américains ne préféreront-ils pas ceux qui leur offrent l’indépendance avec un traité d’union à ceux qui se contenteront d’avouer qu’ils ont eu le courage et le succès de se rendre libres ?

« J’oserais donc, en me rangeant de l’avis de M. de Vergennes, proposer de réunir au troisième parti les conditions secrètes du second, c’est-à-dire qu’à l’instant où je déclarerais l’Amérique indépendante, j’entamerais secrètement un traité d’alliance avec elle ; et comme c’est ici l’instant de répondre à l’objection de M. le comte de Maurepas et de le guérir de son inquiétude sur la division d’intérêts des députés de Passy ou le peu de consistance de leurs pouvoirs, pour me procurer toutes les sûretés dont un pareil événement est susceptible, je ne conclurais point le traité en France avec la députation de Passy, mais je ferais partir en secret un agent fidèle qui, sous le prétexte d’aller simplement régler les droits de commerce des deux nations, serait spécialement chargé d’accomplir avec le congrès les conditions particulières de ce traité, qui ne ferait que s’entamer en Europe et seulement pour contenir la députation.

« Cet agent bien choisi, ce voyage promptement fait, ces pouvoirs habilement confiés, si l’on fait donner par écrit aux députés du congrès en France leur engagement de ne rien entamer avec les Anglais jusqu’aux premières nouvelles de l’agent français en Amérique, on peut compter avoir trouvé le seul topique aux maux que M. de Maurepas appréhende.

« À l’instant donc où je déclarerais l’indépendance, où je me ferais donner l’engagement de la députation, où je ferais partir mon agent pour l’Amérique, je commencerais par garnir les côtes de l’Océan de soixante à quatre-vingt mille hommes, et je ferais prendre à ma marine l’air et le ton les plus formidables, afin que les Anglais ne pussent pas douter que c’est tout de bon que j’ai pris mon parti.

« Pendant ce temps, je ferais l’impossible pour arracher le Portugal à l’asservissement des Anglais, quand je devrais l’incorporer au pacte de la maison de Bourbon.

« Je ferais exciter en Turquie la guerre avec les Russes, afin d’occuper vers l’Orient ceux que les Anglais voudraient bien attirer à l’Occident. Ou, si je ne croyais rien pouvoir sur les Turcs, je ferais flatter secrètement l’empereur[1] et la Russie de ne pas m’opposer au démembrement de la Turquie, sauf quelques dédommagemens vers la Flandre autrichienne, — tous les moyens étant bons, pourvu qu’il en résulte l’isolement des Anglais et l’indifférence de la Russie pour leurs intérêts[2].

« Enfin, si pour conserver l’air du respect des traités je ne faisais pas rétablir Dunkerque, dont l’état actuel est la honte éternelle de la France, je ferais commencer un port sur l’Océan tel et si près des Anglais, qu’ils pussent regarder le projet de les contenir comme un dessein irrévocablement arrêté.

  1. D’Autriche sans doute.
  2. Ceci est la partie fantastique du Mémoire de Beaumarchais ; mais elle nous montre combien la situation en 1777 était différente de celle d’aujourd’hui.