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état de faire face, en l’attendant, à la terrible mise-hors que cet armement nous coûte. Elle ne doit mettre à la voile que dans les premiers jours de janvier.

« Vous recevrez par le Fier Roderigue tous mes comptes avec le congrès bien en règle, l’assurance comprise, et sans polices fournies, parce que j’ai été moi-même mon assureur, et que c’est une chose hors de doute, à la décision de tout le commerce d’Europe, qu’assurer ou courir les risques d’assurance donne un droit incontestable au paiement. Il en résulte seulement que le congrès ne paiera point les cargaisons qu’il n’aura pas reçues et qui auront été raflées en route sur les vaisseaux envoyés d’Europe. Je joindrai à mes comptes l’état exact de ce que j’ai reçu du congrès malgré l’infidèle députation de Passy, qui m’a disputé chaque cargaison de retour, et qui m’aurait encore arraché celle de la Thérèse, si M. Pelletier[1], bien instruit par moi, ne l’avait pas vendue d’autorité. Cette injure perpétuelle indigne mon cœur et m’a fait prendre l’irrévocable résolution de n’avoir plus aucune relation avec la députation tant que ce fripon de Lee en sera. Il faut que les Américains entendent bien mal leurs intérêts pour laisser à notre cour un homme, aussi suspect et surtout aussi malhonnête[2].

« L’on m’a promis, mon cher, votre commission de capitaine, j’espère être assez heureux pour vous l’envoyer par le Fier Roderigue ; mais pourtant n’y comptez que quand vous la tiendrez dans vos mains[3]. Vous connaissez notre pays ; il est si grand qu’il y a toujours bien loin de l’endroit où l’on promet à celui où l’on donne. Bref, je ne l’ai pas encore, quoiqu’elle soit promise.

« Tous les autres détails vous arriveront par le Fier. Eh ! que diriez-vous si je vous mettais à même, à son arrivée, d’embrasser à bord notre ami Montieu ? Il en a bonne envie ; mais cela n’est pas encore décidé.

« Je n’ai reçu aucun autre argent pour M. le comte de Pulaski que celui qu’il m’a remis lui-même, sur lequel je viens de payer cent louis à son acquit. Je vous enverrai son compte bien net. Il devait m’écrire, et je n’ai jamais reçu de ses nouvelles.

« J’approuve ce que vous avez fait pour M. de Lafayette. Brave jeune homme qu’il est ! c’est me servir à ma guise que d’obliger des hommes de ce caractère[4]. Je ne suis pas encore payé des avances que vous lui avez faites ; mais je suis sans inquiétudes. Il en est ainsi de M. de La Rouërie.

« Quant à vous, mon cher, je me réserve de vous écrire de ma main ce que je veux faire pour vous. Si vous me connaissez bien, vous devez vous attendre que je vous traiterai amicalement. Votre sort est désormais attaché au mien

  1. M. Pelletier Du Doyer, autre armateur également lié d’intérêts avec Beaumarchais.
  2. Il va sans dire que nous n’adoptons pas plus le jugement de Beaumarchais sur Lee que l’opinion de Lee sur Beaumarchais.
  3. C’était un brevet de capitaine au service des colonies que Francy demandait à Beaumarchais de lui obtenir du ministère pour augmenter sa considération en Amérique. Francy avait été élève de marine. Beaumarchais obtint le brevet qu’il demandait. Il le lui envoie par la lettre qui suit celle-ci avec des épaulettes faites de la main de Mme de Beaumarchais.
  4. Lafayette était dévoré par les usuriers américains. Francy, qui s’était lié avec le jeune général, n’avait pas hésité à lui prêter de l’argent appartenant à Beaumarchais.