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vous emplirez le navire de tabac, et vous me le renverrez bien vite avec tous ceux que vous aurez pu y joindre. Comme M. Carmichaël[1] va fort vite, vous aurez le temps de faire cette manœuvre soit avec le congrès, soit avec un corsaire ami discret. Par ce moyen, M. de Maurepas se voit dégagé de sa parole envers ceux à qui il l’a donnée, et moi de la mienne envers lui, car nul ne peut s’opposer à la violence, et mon opération aura eu son succès, malgré tous les obstacles dont mes travaux sont semés.

« Voilà sur quel fonds d’idées je vous prie, mon cher ami, de travailler fructueusement et vite, car mon vaisseau partira avant le 15 de janvier. Il aura ordre d’attendre de vos nouvelles au Cap Français.

« D’après tout ce que je fais, le congrès ne doutera plus, j’espère, que le plus zélé partisan de la république en France ne soit votre ami

« Roderigue Hortalez et Cie. »


La lettre suivante donnera une idée de l’importance des armemens de Beaumarchais. Elle est écrite au moment où la guerre vient d’éclater entre la France et l’Angleterre.


« Paris, le 6 décembre 1778.

« Je vous dépêche en avant le corsaire le Zéphyr pour vous prévenir que je suis prêt à mettre à la mer une flotte de plus de douze voiles à la tête desquelles est le Fier Roderigue, que vous m’avez renvoyé, et qui m’est arrivé à Rochefort le 1er octobre en bon état. Cette flotte peut contenir de cinq à six mille tonneaux, et elle est armée absolument en guerre. Arrangez-vous en conséquence. Si mon navire le Ferragus, parti de Rochefort en septembre, vous est parvenu, gardez-le pour le joindre à ma flotte en retour. Ceci est un armement commun entre M. de Montieu[2] et moi. Nous avons composé les cargaisons sur l’état de marchandises que vous m’avez envoyé par le Fier Roderigue, quoiqu’à dire vrai je me sois plus essentiellement occupé de moyens de revoir mes fonds que de les accumuler sans cesse. La plus forte partie du chargement sera donc de tafia, sucre, et d’un peu de café. Ayant beaucoup de place en allant, nous avons même pris le fret que nous avons trouvé ; mais nous ne rapporterons rien à personne en revenant.

« Ainsi quincaillerie anglaise, draps, gazes, rubans, étoffes de soie, clous, toiles, agrès, des essais dans plusieurs genres de toiles peintes, papier, livres, brosses et généralement tous les articles que vous avez préférés, nous vous les envoyons. Faites en sorte que cette flotte reste à la planche le moins possible ; car, quoiqu’elle soit forte et très bien armée, il ne faut pas que les avis qu’on aura de son séjour où vous êtes donnent le temps à nos ennemis de se disposer à barrer notre retour. 1o le commerce ; 2o la guerre.

« Elle vous arrivera au plus tôt dans le cours de février, étant destinée à faire un détour en allant pour approvisionner nos colonies de farines et salaisons dont elles ont grand besoin, et dont le produit, nous rentrant en lettres de change sur nos trésoriers avant le retour de la flotte, nous mettra en

  1. C’était un agent de l’Amérique à qui Beaumarchais confiait sa lettre pour M. de Francy.
  2. C’était un armateur de Nantes associé avec Beaumarchais.