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« M. de Beaumarchais, dit M. de Vergennes, m’écrit sur le même sujet et me marque qu’il veut tenir de moi cette permission (la révocation du contre-ordre) : je me garderai bien de la lui énoncer, quoique je l’aie par écrit[1] ; mais comme très heureusement M. de Sartines a été chargé de cette besogne, je vais le renvoyer à lui. Je vous prie de vous expliquer de même dans votre réponse aux Américains, sans cependant désigner les masques. »


Beaumarchais obtient enfin la permission de faire partir les deux navires séquestrés ; mais voilà qu’au moment où ils vont prendre la mer, on apprend que l’Amphitrite, que l’on croyait déjà bien loin, au lieu de suivre sa route, a fait deux relâches, une à Nantes, l’autre à Lorient, où le navire est encore, et cela parce que le général Ducoudray ne s’est pas trouvé commodément installé sur ce bâtiment. Nouvelles clameurs de lord Stormont ; M. de Vergennes, irrité de se voir de nouveau compromis, s’en prend à Beaumarchais et retire la permission accordée. Le général Ducoudray écrit à Beaumarchais une longue lettre d’explications embarrassées et d’excuses. Beaumarchais, furieux à son tour, lui répond :


« Paris, le 22 janvier 1777.

« Toute votre conduite, monsieur, en cette affaire, étant inexplicable, je ne prendrai pas le soin inutile de l’étudier ; il me suffit de chercher à m’en garantir pour l’avenir, ainsi que mes amis. En conséquence, et comme véritable armateur du vaisseau l’Amphitrite, je joins ici l’ordre au capitaine Fautrelle d’y garder l’autorité sans partage. Vous avez assez de sagacité pour être persuadé que je n’ai pas pris un parti aussi tranchant sans en avoir conféré sérieusement avec des amis puissans et sages. Vous aurez donc la bonté, monsieur, de vous y conformer ou de chercher un autre vaisseau pour passer où il vous plaira d’aller, sans que je prétende gêner votre conduite en rien autre chose que sur les objets qui me sont relatifs et tendent à me nuire. Vous voudrez bien, au reçu de cette lettre, remettre au capitaine Fautrelle tous les paquets, instructions et lettres destinés à opérer la remise directe de la cargaison de son navire, et me faire passer par M. de Francy un compte en règle et figuré de tout l’argent que vous avez dépensé dans vos courses aussi étonnantes que peu nécessaires, si votre intention toutefois est de nous en faire supporter les frais, ce que nous examinerons avec équité dans le comité de nos affaires. J’ai l’honneur, etc.

« Caron de Beaumarchais. »


En même temps Beaumarchais écrit à son agent de confiance, M. de Francy[2], qui est parti pour Lorient :

  1. Ceci me paraît indiquer que, vu la gravité possible des conséquences de cette demi-complicité du gouvernement dans les opérations de Beaumarchais, chaque ministre, quand il fallait prendre une détermination, demandait un ordre écrit de la main du roi. C’est ainsi seulement que peut s’expliquer la phrase de M. de Vergennes.
  2. Nous devons dire un mot de ce M. de Francy dont il va souvent être question. C’était un jeune homme très distingué, auquel Beaumarchais avait donné toute sa con-