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de munitions et d’officiers serait présenté comme une expédition faite par le ministre de la marine pour les besoins des colonies françaises ; mais l’expédition était considérable, on employait des bâtimens de commerce au lieu d’employer des navires de l’état, les officiers qui devaient s’embarquer avaient été indiscrets, la présence de Beaumarchais au Havre avait mis le comble à l’inquiétude de l’ambassadeur anglais, bien que Beaumarchais fût parti sous le faux nom de Durand, si j’en juge par une lettre d’un des officiers à Silas Deane, il avait trahi son incognito en mêlant à une aussi importante affaire des préoccupations littéraires qui peignent l’homme au naturel. « Je crois, écrit cet officier, que le voyage de M. de Beaumarchais a fait plus de mal que de bien. Il est connu de beaucoup de monde, et il s’est fait connaître de toute la ville par la représentation de ses comédies, où il a été faire répéter les acteurs pour qu’ils jouassent mieux. Tout cela a rendu inutile la précaution qu’il avait prise de se cacher sous le nom de Durand. »

Beaumarchais assure au contraire que lui seul avait pu tempérer l’indiscrétion des officiers. Quoi qu’il en soit, lord Stormont avait adressé au gouvernement les remontrances les plus véhémentes. Le roi, qui ne voulait pas la guerre, le ministère, qui ne se sentait pas prêt à la faire, avaient craint de trop s’avancer. Un contre-ordre avait été envoyé au Havre et à Nantes, avec défense aux officiers de s’embarquer et aux navires de partir ; mais lorsque le contre-ordre arriva au Havre, le plus fort des trois navires de Beaumarchais, l’Amphitrite, qui portait la plus grande partie des officiers et des munitions, avait déjà pris la mer. Les deux autres restèrent seuls séquestrés. Beaumarchais revient en toute hâte et se met en quatre pour obtenir la révocation du contre-ordre. Le billet suivant de M. de Vergennes à son premier commis, M. Gérard, peint assez bien ce qu’avait de délicat la situation des ministres dans une affaire de ce genre.

    tentions supérieures à leur capacité ; les Américains de leur côté étant très jaloux, il en résulta des froissemens. Cependant c’est Beaumarchais qui expédia aux États-Unis les officiers français ou étrangers qui se distinguèrent le plus auprès Lafayette, notamment le marquis de La Rouërie, très aimé de Washington, dont Chateaubriand parle avec éloge dans ses Mémoires d’Outre-Tombe, le comte de Conway, Irlandais de mérite, le général polonais Pulawski, et surtout le vieux général Steuhen, compagnon d’armes de Frédéric, qui rendit de grands services en organisant sur un très bon pied les milices américaines. Il est assez plaisant de voir l’auteur du Barbier de Séville recommandant au congrès ce vieux général et dissertant sur la guerre : « L’art de faire la guerre avec succès, écrit-il, étant le fruit du courage combiné avec la prudence, les lumières et l’expérience, un compagnon d’armes du grand Frédéric, qui ne l’a pas quitté pendant vingt-deux ans, nous paraît à tous un des hommes les plus propres à seconder M. Washington. »