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guerre, soit des marchandises ordinaires de la France aux colonies unies et des colonies en France, la direction de toutes les affaires, le règlement des prix, la conclusion des marchés, les engagemens à prendre, les recouvremens à faire, etc. Peut-être est-il cent, peut-être mille personnes en France, qui, avec des talens fort inférieurs à ceux de M. de Beaumarchais, pourraient mieux remplir vos vues, en inspirant plus de confiance à tous ceux avec lesquels elles auraient à traiter. »


Avant de montrer l’auteur du Barbier de Séville réfutant à sa manière les accusations du docteur, nous devons faire remarquer combien cette lettre est importante pour l’éclaircissement d’une affaire assez difficile à débrouiller, et qui, on le verra, a fait naître aux États-Unis les contestations les plus acharnées. Cette lettre, qui prouve que le docteur Dubourg était dans la confidence des intentions du ministre, prouve en même temps jusqu’à la dernière évidence, par les passages que nous avons soulignés, qu’en accordant à l’opération fondée par Beaumarchais, à ses risques et périls, une subvention secrète d’un million, M. de Vergennes n’entendait pas que l’opération n’aurait qu’un caractère commercial fictif, qu’il entendait encore moins lancer Beaumarchais dans une mise en dehors de cinq ou six millions, uniquement pour les beaux yeux des insurgens, mais qu’il pensait que l’opération s’alimenterait avec l’argent du commerce, et qu’elle se soutiendrait par les bénéfices résultant des retours en nature sur lesquels Beaumarchais avait le droit de compter d’après les engagemens formels pris par l’agent du congrès.

Il faut dire maintenant l’effet que produisit la lettre du docteur Dubourg accusant Beaumarchais par-devant M. de Vergennes d’entretenir des demoiselles. Le ministre, malgré sa gravité, trouva plaisant de communiquer la lettre du docteur à Beaumarchais, qui de son côté, sans doute pour égayer le ministre, lui envoya une copie de sa réponse au docteur Dubourg. Elle est ainsi conçue :


« Ce mardi, 10 juillet 1776.

« Jusqu’à ce que M. le comte de Vergennes m’ait montré votre lettre, monsieur, il m’a été impossible de saisir le vrai sens de celle dont vous m’avez honoré. Ce monsieur qui ne veut ni ne peut rien prendre sur lui avec moi était une chose inexplicable[1]. J’entends fort bien maintenant que vous avez voulu vous donner le temps d’écrire au ministre à mon sujet ; mais, pour en recevoir des notions vraies, était-il bien nécessaire de lui en offrir de fausses ? Eh ! que fait à nos affaires que je sois un homme répandu, fastueux, et qui entretient des filles ? Les filles que j’entretiens depuis vingt ans, monsieur, sont bien vos très humbles servantes. Elles étaient cinq, dont quatre sœurs

  1. Ce passage s’applique à Silas Deane, qui venait d’arriver, et que Beaumarchais n’avait pas encore vu, parce que le docteur Dubourg le dissuadait sans doute de s’aboucher avec lui.