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ils ont 5,000 piastres d’appointemens (25,000 francs). Aussi ce ne sont plus eux qui font traîner les procès ; ce sont les employés inférieurs qui maintenant les rendent interminables. Du moindre clerc, souvent d’un simple expéditionnaire dépend le sort des parties. Dans la justice criminelle, point de contradiction de témoins. On n’est pas présent à leur déposition ; on peut seulement, pour sa satisfaction, les voir jurer. Toutes les questions sont faites par écrit, et on y répond de même. Cela forme un dossier dont on lit un extrait aux juges. Les jugemens sont incroyables. L’autre jour, un avocat avait deux procès. Il se croyait sûr de gagner l’un et se croyait sûr de perdre l’autre : le contraire est arrivé. » Mon interlocuteur conclut comme Pantagruel que le meilleur serait de jouer la décision des tribunaux à beaux petits dés, comme disait le sage Brid’oison.

Ce n’est pas que l’île de Cuba ne jouisse en somme d’une prospérité réelle ; la population s’accroît[1], le mouvement général du commerce, les revenus des douanes augmentent chaque année[2]. Les écrivains des États-Unis ont soin de faire remarquer que ce progrès correspond à celui des États-Unis, qui tient la plus grande place dans le commerce de Cuba. Il est certain que, sauf le café, dont la production a baissé sensiblement, tous les autres produits de l’île suivent une progression constante[3] ; mais les habitans de Cuba sont peu touchés de ces progrès, dont l’Espagne profite plus qu’eux-mêmes, et que des impôts pesans qu’ils ne sont point appelés à voter diminuent considérablement.

Le gouvernement, dans son journal officiel, affirme que l’on paie en somme plus de taxes aux États-Unis que dans l’île de Cuba. Il en conclut que les habitans de Cuba sont plus heureux que les citoyens des États-Unis, parce que les états de l’Ohio, de New-York, de Maryland et de Pensylvanie ont graduellement augmenté l’impôt de 80 pour 100. Quand le fait serait vrai, qu’importe ? Tout est dans la nature et l’emploi de l’impôt ; celui qu’on prélève aux États-Unis n’est point destiné à favoriser une métropole jalouse et à solder des

  1. En 1850, la population fixe de la Havane et de ses dépendances rurales s’est élevée de 142,000 âmes à 150,161. En 1849. la population de l’île a augmenté de 5 pour 100.
  2. Selon le Diario de Cadix, les douanes de Cuba ont e, 1850 rapporté 7,729,085 piastres ; en 1851, 8,462,834.
  3. De 1826 à 1849, l’exportation du tabac en feuilles a triplé ; celle des cigares a presque quadruplé. Pendant la même période, l’exportation des mélasses s’est élevée de 71,000 à 228,400 boucauts (70 kil.), celle du rhum de 3,600 pipes à 14,900, et celle de la cire de 25,800 arobes (11 1/2 kil.) à 48,900 (Annales du commerce extérieur, 3e série des avis divers, no  543, p. 7). Le progrès a continué. En 1849, le commerce général de Cuba à l’entrée et à la sortie était de 48,757,016 piastres ; en 1850, il a été de 54,615,175 piastres ; en 1851, il a encore augmenté, pour les importations, de 2,662,767 piastres, et pour les exportations, de 3,195,391 piastres, d’après les documens officiels les plus récens.