Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était chez les peuples de race mexicaine, comme chez les sauvages de l’Amérique septentrionale, une chose sacrée. Elle joua un rôle dans les cérémonies du sacre de Montezuma, et sur un bas-relief du Yucatan on voit deux hommes offrant à une sorte de croix la fumée d’un cigare, comme le major Long a vu les Omahwas dans la vallée du Mississipi, quand ils ont rencontré et tué des bisons, fumer en action de grâces avant d’y toucher, disant : « Maître de la vie, voici de la fumée. »

Les Indiens de la Virginie croyaient que le Manitou (l’esprit) résidait dans la fumée de tabac. Chez les Natchez, le prêtre, marchant à la tête du peuple, allait sur un tertre attendre le lever du soleil, et alors il lançait une bouffée de tabac en l’honneur de l’astre que ces peuples adoraient. Encore aujourd’hui, certains sauvages, s’ils rencontrent un serpent-sonnette, animal qu’ils appellent leur grand-père, dirigent tout à coup vers lui la fumée de leur pipe. Peut-être est-ce un moyen de l’engourdir. La pipe ou, comme disent tous ceux qui croient faire de la couleur locale en employant un vieux mot français, le calumet ne figure pas seulement dans les conseils des Indiens et dans leurs assemblées pacifiques ; il y a le calumet de la guerre aussi bien que le calumet de la paix. Quand on prépare une expédition, on fait circuler la pipe rouge ; chacun en tire une gorgée, et par là s’enrôle dans l’expédition. Outre cet emploi du tabac dans les cérémonies religieuses et les délibérations politiques, les naturels de l’Amérique s’en servaient encore soit comme remède, ce que pratiquaient les Mexicains, soit pour rendre à la vie les noyés, ainsi que Diereville l’observa chez les Indiens de l’Acadie.

Le tabac a aussi son histoire dans l’ancien monde. D’abord il y fut employé comme plante médicinale. À la fin du XVIe siècle, l’illustre Raleigh introduisit l’usage de fumer à la cour d’Angleterre. On raconte que son domestique, lui voyant une pipe allumée à la bouche, crut qu’il brûlait et lui jeta un seau d’eau sur la tête. On rapporte aussi qu’un jour Raleigh décida la reine Elisabeth à l’imiter et fit fumer une pipe à sa majesté. On ajoute qu’Elisabeth ayant parié avec lui qu’il ne pourrait peser la fumée qu’il produisait, Raleigh compara le poids du tabac avant l’opération et après : il détermina ainsi celui de la fumée exhalée, et la reine, admirant cette analyse, qui peut-être n’était pas très rigoureuse, dit à l’illustre voyageur, après avoir payé le pari, qu’il était le premier qui eût fait de l’or avec de la fumée. Elisabeth ne manquait jamais une occasion de se montrer bel esprit. Jacques Ier n’imita point l’indulgence d’Elisabeth pour ce goût nouveau, et, bien que fondateur de la Virginie, dans laquelle le tabac était la culture presque unique et même servait de monnaie pour solder les appointemens des employés civils et des ministres anglicans,