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esclaves que les habitans des États-Unis. Si je compare cette plantation, qui passe pour une des mieux administrées, avec celles que j’ai vues à la Louisiane, je ne suis pas frappé de la grande douceur des maîtres. Dans l’île espagnole, le maximum des coups de fouet est plus considérable. Le majoral peut en donner vingt de son autorité ; à la Louisiane, chez M. Roman, ce n’était que cinq. M. Roman ouvrait les portes de son habitation à des prêtres catholiques, même à des méthodistes qui pouvaient apporter quelque enseignement religieux. Ici il n’y a rien de pareil, et on ne fait pas plus pour cultiver le sens moral du nègre que pour développer celui du porc qu’on lui permet d’élever et de vendre à son profit.

J’admettrai que dans le détail les esclaves soient assez bien logés, suffisamment nourris, soignés dans leurs maladies ; je conviendrai que pendant le déjeuner Mme…, femme du directeur de la sucrerie, nous a avoué en souriant que nous n’aurions pas beaucoup de lait pour notre café, parce qu’on le réservait pour les malades, tout cela n’empêche point que cette activité forcée, sans espoir, sans désir personnel, ne soit semblable à celle d’un animal ou d’une machine, et cette absence complète de développement moral suffirait seule, — quand même, ce qui est impossible, il n’y aurait aucune cruauté employée dans le traitement des noirs, — pour faire condamner l’esclavage non pas seulement comme une barbarie contre le corps, mais surtout comme un meurtre de l’âme.

La traite, interdite par la loi, se fait notoirement à Cuba. La plupart des gouverneurs qui ont précédé le général Concha la toléraient, sauf à se faire donner une ou deux onces d’or par tête de nègres introduits, tandis qu’on en donnait, autant à d’autres fonctionnaires. Le général Concha a repoussé cet odieux marché ; il a prévenu les traitans qu’ils eussent à bien prendre leurs mesures, car si l’importation d’esclaves noirs dans l’île venait à sa connaissance, il sévirait. Malgré cette restriction, il ne leur est pas très difficile de continuer leur infâme commerce, quelquefois même ils ne prennent pas la précaution de se cacher. Récemment une cargaison de nègres a été débarquée effrontément, et la ville de Matanzas a été un beau jour presque affamée par les achats faits pour les nourrir. Cette impudence a contraint l’autorité à saisir la pacotille humaine. Tant que l’esclavage sera maintenu, la traite existera en fait partout où il n’y aura pas, comme aux États-Unis, une population suffisante d’esclaves, ce qui est une autre source d’immoralité ; car l’absence de la traite encourage les haras humains qui existent en Virginie, et qui offrent une difficulté de plus pour l’émancipation par la multiplication toujours croissante des esclaves à affranchir. Quoi qu’on fasse, les conséquences d’un mauvais principe sont toujours mauvaises.

L’introduction des appareils perfectionnés pour la production du