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des maisons de briques, et que sous différens noms je rencontrais partout. Les églises ne sont plus bâties sur ce même modèle de faux gothique ou de grec plus faux encore qu’élève aux États-Unis un art sans originalité et sans caractère. Ce n’est pas que ce que je vois soit bien remarquable comme architecture : c’est le genre espagnol du dernier siècle un peu lourd, un peu surchargé ; mais je retrouve de la physionomie et de la variété, des monumens qui ne sont pas d’hier et qui disent quelque chose. Les maisons blanches ou peintes en bleu, en vert, en rose, en jaune, offrent un aspect bariolé qui étonne d’abord le regard, mais qui le réjouit. Partout des toits plats en terrasse à la manière de l’Orient. Des vases de faïence coloriée sont placés au bord de ces terrasses et se détachent avec élégance sur le ciel. Ce ciel est splendide ; les hommes portent des pantalons blancs, beaucoup d’entre eux des vestes blanches et de grands chapeaux de paille. Tout a un air de canicule, et nous sommes au 31 janvier.

L’hôtel où nous descendons est tenu par une famille de réfugiés de Saint-Domingue. Comme en Espagne, les chambres à coucher sont petites ; elles sont défendues par des barreaux et des volets, mais n’ont pas de vitres. Les lits sont des lits de sangle sans matelas, ce qui est plus frais, et au bout de quelques jours ne semble pas trop dur. L’endroit qui me plaît surtout dans l’hôtel, c’est une terrasse d’où l’on découvre une foule de clochers de toutes formes et de toutes nuances, et où je jouis de l’aspect à demi oriental de la ville étagée à mes pieds dans sa pittoresque irrégularité. Aux États-Unis, dans les promenades publiques, je ne rencontrais guère que quelques pauvres diables lisant un journal ; nulle part il n’y avait un lieu fréquenté à une certaine heure par la bonne compagnie, comme le Corso à Rome, Chiaja à Naples, les Champs-Elysées ou le bois de Boulogne à Paris. Ici, j’ai rencontré une promenade admirable aux portes de la ville. Une longue allée part de la mer et suit les remparts ; d’autres allées viennent aboutir à celle-là : c’est un véritable cours, où, avant le coucher du soleil, on se promène en voiture, surtout en volantes. Les volantes méritent une description, car elles entrent pour beaucoup dans la physionomie particulière de La Havane : ce sont des voitures ouvertes, à un cheval et à deux places, dont les roues sont très hautes ; un nègre en postillon les conduit. C’est dans ces chars que les dames vont goûter la fraîcheur du soir. L’extrémité de leurs robes se rabat un peu des deux côtés de la volante. J’aime à voir ces voitures d’un aspect singulier passer rapidement, emportant deux ou trois femmes seules dont le regard vous frappe en passant, et à suivre les plis flottans de leur robe blanche aux derniers rayons du jour, en vue de la mer, à travers une allée de palmiers ; Puis on revient, à l’autre bout de la ville, gagner une place carrée qui est la