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ruines de la colonie ! » Et pourtant, le 1er mai 1758, le général n’avait que 6,000 soldats réguliers, bataillons de ligne, troupes de marine et troupes coloniales, pour défendre cinq cents lieues de frontières ! Le Canada fut envahi par l’ouest et par l’est, par les lacs et par la mer ; après un siège mémorable, Louisbourg devint pour la seconde fois la proie de l’ennemi. À la tête de 16,000 hommes, le généra] Abercromby courut attaquer 3,500 Français retranchés sur une hauteur entre le lac George et le lac Champlain. Montcalm attendit de pied ferme les Écossais et les grenadiers anglais ; quand ceux-ci furent arrivés à vingt pas des retranchemens, le feu commença. Pendant six heures consécutives, les colonnes ennemies renouvelèrent leurs attaques avec un sang-froid et une valeur extraordinaires : toujours repoussées, elles durent se retirer en laissant sur le champ de bataille plus de deux mille morts. Cette brillante victoire ne pouvait sauver le Canada, que les troupes anglaises envahissaient de toutes parts. Il n’arrivait point de renforts. Les Indiens abandonnèrent le parti de la France qu’ils avaient embrassé jadis avec ardeur et fidèlement soutenu. Les troupes du Canada étaient mal payées et manquaient du nécessaire ; une sourde animosité se déclarait entre les Français d’Europe et les créoles. On n’ignorait pas dans les colonies anglaises à quelles extrémités se trouvait réduite la Nouvelle-France, dont la conquête n’était plus qu’une affaire de temps. Afin de porter un coup décisif et d’utiliser sur un même point ses puissantes armées, l’Angleterre résolut d’attaquer Québec. De leur côté, les Canadiens se préparèrent à une défense héroïque. On fit, dans l’hiver de 1759, le dénombrement des hommes capables de porter les armes : il se trouva 15,000 habitans âgés de seize à soixante ans. L’armée se composait de 5,300 soldats. Au mois d’avril, l’évêque ordonna des prières publiques dans toutes les églises, et les habitans s’y portèrent en foule : ces braves gens avaient gardé la foi des anciens temps à une époque où la France semblait prendre plaisir à fouler aux pieds ses croyances.

Il n’entre point dans notre plan de retracer la mémorable, et triste campagne qui se termina par la conquête du Canada. Les péripéties de ce drame lugubre sont bien connues, et il en a été parlé en diverses occasions ici même ; tout récemment encore, une plume habile en a esquissé les dernières scènes[1]. — On sait quelle oppression pesa sur les Canadiens durant la première phase de l’occupation anglaise, quelles mesures brutales et impolitiques furent adoptées plusieurs fois contre les restes de ce petit peuple indompté, notamment en Acadie. Il ne nous appartient pas non plus de suivre l’auteur de

  1. Voyez, dans la série de M. Ampère sur l’Amérique, la Nouvelle-Angleterre et la Nouvelle-France, livraison du 15 janvier 1853.