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et de miliciens, des députés de toutes les nations sauvages qui occupaient alors l’ouest et le nord de l’Amérique, depuis l’embouchure du Saint-Laurent jusqu’aux vallées du Bas-Mississipi. Les colonies voisines ne voyaient pas sans inquiétude et sans jalousie cette conférence, dans laquelle les indigènes venaient en masse reconnaître l’ascendant de la France. Les Iroquois ensevelirent en terre la hache sanglante qu’ils avaient si longtemps tenue levée sur les blancs. Cette paix était en partie l’ouvrage d’un chef huron doué d’un esprit, on devrait presque dire d’un génie extraordinaire. Les Canadiens le nommaient le Rat, traduction du mot huron Kondiaronk. Ce Huron avait été l’âme de la dernière guerre qui venait d’ensanglanter le pays ; on l’avait vu déployer, durant ces luttes acharnées, tout ce qu’il peut y avoir de sagacité, d’énergie et d’astuce dans un cerveau humain. Contraint de céder devant la force, convaincu, par les récens succès des Français, de leur supériorité et de leur véritable puissance, il avait senti que l’intérêt des tribus indiennes exigeait désormais qu’elles fissent la paix. Durant la cérémonie et pendant qu’un chef iroquois pérorait longuement ; le Rat se trouva mal. On le plaça sur un fauteuil, comme un sage digne de respect ; il fit signe qu’il voulait parler, et on s’approcha de lui pour l’écouter. La dignité de ses paroles et la profonde justesse de ses pensées émurent toute l’assemblée. Il s’exprima avec la dignité d’un héros et aussi avec cette haute sagesse particulière aux esprits supérieurs, qui, après avoir réfléchi beaucoup, semblent, au moment de la mort, posséder le don de prophétie. Les sauvages applaudissaient, et les blancs écoutaient encore, qu’il avait fini de parler. Le Rat se trouvait si faible, qu’on le transporta à l’Hôtel-Dieu, où il expira bientôt. Ainsi mourut cet homme étonnant qui avait compris les grandeurs du christianisme et de la civilisation, sans être dupe des intrigues et de l’ambition des nations européennes. Dans sa naïve fierté, il disait n’avoir rencontré parmi les Français que deux hommes d’esprit, M. de Frontenac et le père Carheil, de qui il avait reçu le baptême. Sa mort causa un deuil général. On lui fit de magnifiques obsèques ; sa dépouille mortelle, accompagnée des autorités civiles et militaires et des députations des tribus indiennes, fut déposée dans l’église paroissiale. Les Canadiens se rappellent avec un orgueil mêlé de tristesse ces grands jours où les chefs sauvages tenaient leurs assises sous la présidence du gouverneur, dans la ville de Québec. M. Garneau a une manière simple, attachante, de raconter ces événemens effacés et de les faire revivre sous nos yeux. Nourri, comme ses compatriotes, des traditions de son pays, il semble qu’il ait été le témoin de ces scènes étranges et qu’il les écrive de souvenir.

Une nouvelle ère de calme et de prospérité semblait donc s’ouvrir