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prouve une fois de plus que dans les colonies il faut surtout des hommes d’action, qui se fient moins à leurs lumières qu’à celles de l’expérience, des gens pratiques, doués de sang-froid, persévérans dans leurs entreprises, dussent-ils passer pour n’avoir ni imagination ni esprit. Pour expliquer cet affaiblissement subit de la colonie, il faut se rappeler qu’on était, en France, au lendemain de la révocation de l’édit de Nantes et à la veille de nouvelles guerres. L’émigration forcée des protestans avait appauvri la population française. Prêt à lutter seul contre l’Europe, Louis XIV n’avait pu envoyer au Canada que deux cents hommes de troupes, et on ne comptait pas alors dans tout le pays plus de treize cent cinquante habitans en âge de porter les armes.

M. de Frontenac revint au Canada l’année suivante (1690). Il avait à se défendre contre les colonies anglaises et contre la confédération des tribus iroquoises. Cependant on le vit, par son énergie et son habileté, triompher de tous les obstacles. La guerre qu’il soutint contre les colonies voisines, plus puissantes et mieux organisées, fut l’une des plus glorieuses dont le Canada ait gardé le souvenir. Non-seulement Frontenac repoussa les attaques dirigées de toutes parts contre les ports du littoral et les villes de l’intérieur, non-seulement il sut inspirer à ses braves Canadiens une patience héroïque dans les momens de crise, mais encore il osa prendre l’offensive, et enleva aux Anglais Terre-Neuve et les établissemens formés par eux à la baie d’Hudson. L’histoire de nos colonies se lie trop souvent à celle de nos malheurs pour que nous prenions plaisir à l’étudier, et nos armées ont accompli trop de merveilleux exploits dans le vieux monde pour que ces expéditions entreprises à travers les solitudes du nouveau continent nous émeuvent beaucoup. Cependant nos marins n’ont point oublié le brillant fait d’armes du commandant d’Iberville, qui, surpris avec un seul vaisseau, dans la baie d’Hudson, par trois vaisseaux anglais, en fit sombrer un, captura le second et força le troisième à prendre la fuite. À la paix de Ryswick, le gouverneur Frontenac, se voyant débarrassé des Anglais, traita avec la confédération iroquoise, qui « envoya dix ambassadeurs pour pleurer les Français tués pendant la guerre. » Cette manière de demander excuse après les atrocités commises paraîtra assez naïve, surtout si l’on songe que les Iroquois coupaient par quartiers les Français tués dans le combat, afin de les faire bouillir dans leurs chaudières et de les manger.

En 1701, un nouveau traité fut conclu avec les Indiens, qui envoyèrent treize cents des leurs pour assister à cette solennelle entrevue. Jamais on n’avait vu tant de tribus indiennes représentées en un même lieu. Il y avait là, dans cette enceinte où siégeaient les dames et les notables de la colonie au milieu d’un cercle de soldats