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les points. Leur fureur se tourna contre les Hurons et particulièrement contre les paisibles bourgades où les jésuites missionnaires avaient réuni quelques centaines de familles. Un grand nombre de ces néophytes fut massacré impitoyablement ; d’autres, faits prisonniers, expirèrent dans les tortures, et l’on vit les prêtres dévoués qui avaient consacré leur vie à ce malheureux troupeau encourager jusqu’à la fin les Hurons éperdus, recevoir la mort avec eux, et comme eux aussi endurer sans se plaindre tous les tourmens que la rage inspirait aux vainqueurs. Les incursions des Iroquois semèrent partout le carnage et la terreur ; la famine suivit de près, et les Hurons qui avaient survécu au massacre de leur tribu, chassés des campagnes et des forêts, n’osant s’abriter derrière les palissades de la ville naissante de Montréal, durent s’enfuir par des chemins détournés jusqu’à Québec ; quelques-uns s’allèrent même cacher vers les grands lacs et jusque sur les bords de la Susquehanna, en Pensylvanie. Ainsi fut dispersée, en 1650, la nation des Hurons, la plus florissante du Canada douze années auparavant. Les colons de la Nouvelle-France perdirent en elle une alliée utile ; privés de cette avant-garde qui protégeait leurs frontières, ils se trouvèrent face à face avec des ennemis nombreux, implacables, rusés comme des renards et féroces comme des loups. Telle était la puissance des Iroquois, que les colons de la Nouvelle-Angleterre refusèrent d’aider les Canadiens à les combattre, soit qu’ils redoutassent cette race indomptée, soit qu’il leur convint de laisser les Français exposés à ses attaques[1]. On a presque perdu le souvenir de ces sauvages en Europe, et leur nom fait rire celui qui l’entend prononcer. Cependant on voit quel rôle sérieux ils ont joué dans l’histoire de nos établissemens d’outre-mer. M. Garneau, qui les connaît par la tradition et par l’étude qu’il a faite des relations anciennes, donne sur ces hordes oubliées de curieux détails ; il les décrit et les dénombre avec un soin scrupuleux, de telle sorte qu’on peut, en lisant son ouvrage, suivre leurs mouvemens comme dans les Commentaires de César, on suit ceux des nations gauloises luttant contre les aigles romaines.

On se passa du secours des Anglais. Pendant plusieurs années, la colonie fut dans de continuelles alarmes ; les Iroquois rodaient par bandes, dans le silence de la nuit. Ils se glissaient partout, à la manière des serpens. On surprit parfois jusque dans la cime des arbres

  1. La réponse du conseil de Boston aux propositions que lui tirent deux pères jésuites est curieuse ; elle ressemble à celle du rat de la faille : « Nous ne pouvons douter que Dieu ne bénisse et vos armes et les nôtres, puisqu’elles sont employées pour la défense des sauvages chrétiens, tant vos alliés que les nôtres, contre des barbares infidèles qui n’ont ni foi ni Dieu… comme vous pouvez l’apprendre plus au long desdits sieurs nos députés, qui vous assureront du désir sincère que nous avons que le ciel aille toujours bénissant vos provinces et vous comble de ses faveurs. »