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Charles-Quint à la suite d’un engagement où tous ses soldats avaient été tués, de Gourgues s’était vu jeté sur une galère. Pris par les Turcs peu de temps après, les chevaliers de Malte l’avaient enfin délivré de cette double captivité. Homme de guerre distingué, excellent marin, il se met en tête d’aller en Caroline venger le massacre de ses compatriotes. Il vend tout son bien, arme trois navires, enrôle quatre-vingts matelots et cent cinquante hommes de guerre, la plupart gentilshommes, et cingle vers Cuba. De là, tout son monde se trouvant réuni, il se transporte sur les côtes de la Caroline. Les trois forts élevés par les Espagnols sont pris et les garnisons détruites. Les prisonniers ayant été amenés sur le lieu où Menendez avait fait graver ces mots : Je ne fais ceci comme à des Français, mais comme à des luthériens, — de Gourgues les fit pendre avec cette inscription : Je ne fais ceci comme à Espagnols, mais comme à traîtres, voleurs et meurtriers. Coup de main hardi, fait d’armes glorieux, s’il n’eût été accompagné d’odieuses représailles !

La cour de France, on le voit, subordonnait ses entreprises d’outre-mer aux affaires qui l’occupaient sur le continent. François Ier était jaloux des agrandissemens de l’Espagne, de l’influence prestigieuse de cette puissance contre laquelle il luttait plutôt en chevalier qu’en habile politique. Il eut trop peu de succès dans les grandes guerres qu’il conduisait en personne pour qu’il lui fût possible de mener à bien de lointaines expéditions. Les entreprises qui eurent lieu sous son règne et sous les suivans émanaient moins de la cour que des villes maritimes, des provinces du littoral, représentées par un gentilhomme comme Roberval ou par un marin comme Jacques Cartier. Cependant elles avaient besoin d’être appuyées par le gouvernement pour porter des fruits. Le coup de main hardi exécuté par de Gourgues contre les Espagnols de la Floride est une nouvelle preuve de l’esprit d’indépendance qui animait à cette époque tant de gentilshommes intrépides. Ces aventuriers audacieux, même quand ils avaient en vue la gloire et l’intérêt de leur pays, l’entraînèrent trop souvent dans des difficultés inextricables par suite des querelles qui éclataient entre les colonies de deux nations rivales. En attendant que le gouvernement décidât, on se battait, on s’entr’égorgeait ; la force tenait lieu de droit. L’esprit d’aventure avait seul animé les premiers explorateurs. L’amiral de Coligny, que ses opinions religieuses tenaient en suspicion, fut le premier à comprendre que le Nouveau-Monde devait servir d’asile aux malcontens, aux dissidens de toute sorte, à ceux qui ne trouvaient plus en Europe assez d’espace pour respirer. L’idée de Coligny fut reprise avec succès par l’Angleterre. Le protestantisme, secte nouvelle, se tourna avec espérance vers un monde nouveau ; son génie raisonneur et pratique avait besoin d’aller fonder loin de la vieille Europe une société véritablement