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des accens suffit à justifier la manière dont je les envisage. Ainsi, sans sortir d’Italie, nous avons la science pure, représentée par Michel-Ange ; la science alliée a la grâce, représentée par Léonard de Vinci ; la grâce alliée à la science, mais la dominant, représentée par Raphaël ; l’éclat de la couleur lumineuse et vraie, représenté par Titien ; le dessin de la l’orme dans l’ombre, représenté par Corrège.

Quelle manière nouvelle rencontrons-nous après les cinq manières que je viens de signaler ? Une seule mérite un rang à part dans l’histoire de la peinture, la manière de Rubens. Rubens, en effet, qui avait fait un long séjour en Italie et avait étudié avec un soin particulier l’école vénitienne, ne l’a pourtant pas copiée. S’il est possible de reconnaître dans ses compositions la trace de Titien et de Paul Véronèse, il faut avouer cependant que le maître né à Cologne, qui a passé la plus grande partie de sa vie dans les murs d’Anvers, introduit à son tour une note nouvelle dans la peinture. La forme, que Michel-Ange et Léonard avaient conquise sous l’aspect purement scientifique ; la forme, que Raphaël, Titien et Allegri avaient représentée tour à tour par l’harmonie des lignes, l’éclat de la couleur, les ténèbres visibles, — Rubens a tenté de l’exprimer par un procédé nouveau, et chacun reconnaîtra qu’il a pleinement réussi dans sa tentative. On peut lui contester, dans plusieurs de ses compositions, la noblesse, l’élévation du style, on ne peut lui contester la réalité de l’imitation. Personne avant Rubens n’avait rendu la chair d’une manière aussi vivante. Sous ce rapport, les cinq maîtres italiens que j’ai nommés tout à l’heure ne sauraient lui être comparés. Depuis les naïades de la galerie de Médicis composée pour le palais du Luxembourg, et que nous possédons aujourd’hui au Louvre, jusqu’à la Descente de Croix de la cathédrale d’Anvers ; depuis la Crucifixion de saint Pierre, qui se voit aujourd’hui a Saint-Pierre de Cologne, jusqu’à la Sainte Famille qu’on admirait naguère dans la galerie Boursault, et qui aujourd’hui a quitté la France, il n’y a pas une seule toile de Rubens qui ne révèle pleinement ce qu’il a tenté, ce qu’il a voulu. Le but constant de toutes ses préoccupations, c’est la chair vivante et frémissante, et nul maître n’a jamais réussi aussi bien que lui à exprimer la chair. Qu’importe qu’il n’ait pas toujours choisi ses modèles avec un soin scrupuleux, qu’importe qu’il ait copié la forme flamande, réduite à ses élémens primitifs, aussi souvent, plus souvent peut-être que la forme flamande modifiée, enrichie par le mélange du sang espagnol, telle que nous l’admirons à Bruges ? Ce qui demeure constant, à l’abri de toute contestation, c’est que Rubens a exprimé la vérité de la chair comme personne n’avait su le faire avant lui.

Venu après les cinq maîtres italiens qu’il connaissait d’une façon incomplète, à l’exception de Raphaël, que Marc-Antoine Raimondi