Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’arrive au Christ détaché de la Croix, composition plus généralement connue et bien souvent attaquée. Il existe sur ce sujet deux œuvres qui jouissent d’une légitime popularité : la fresque de Daniel de Volterre, à la Trinité-du-Mont, et le tableau de Rubens, dans la cathédrale d’Anvers. La fresque de Daniel se recommande certainement par des mérites considérables ; cependant l’amour de la précision dégénère trop souvent chez l’auteur en sécheresse, et quoiqu’elle puisse être étudiée avec fruit, on peut dire qu’elle n’offre pas un très-vif intérêt. Quant au tableau de Rubens, bien qu’il ait été endommagé d’une façon très fâcheuse par les savonnages des prétendus restaurateurs qui abondent en tout pays, et qu’il semble aujourd’hui à demi effacé si on le compare au Christ en Croix du même auteur, qui lui sert de pendant, c’est à coup sûr une des compositions les plus savantes que l’on puisse citer, Rubens, né en 1570, était mort en 1640. Il est donc certain que Rembrandt a dû connaître la composition de Rubens ; mais il s’est bien gardé de l’imiter. Il a compris qu’il ne pouvait pas lutter avec le maître d’Anvers en restant sur le même terrain que lui. Rubens avait prodigué avec une sorte d’ostentation son savoir anatomique ; Rembrandt s’est proposé une autre tâche : l’expression des sentimens éprouvés par les acteurs de ce drame suprême. Au premier plan, sur le devant de la composition, une sorte de bourgmestre vêtu d’une redingote à brandebourgs, appuyé sur une canne richement ornée, qui assiste à la cérémonie funèbre comme un homme chargé d’en dresser le procès-verbal ; — sur la croix, le corps du Christ à demi détaché, dont le torse rigide et incliné sur la hanche droite indique nettement l’absence de la vie ; — sur les branches mêmes de la croix et sur l’échelle qui s’y appuie, des hommes à peine vêtus qui semblent appartenir à la plus humble condition et dont le visage respire une compassion profonde. Si la composition de Daniel de Volterre offre aux regards des morceaux très finement étudiés, si la composition de Rubens se recommande par une rare élégance, on ne peut nier que la composition de Rembrandt n’exprime plus fidèlement la nature intime du sujet, Il y a dans son Christ détaché de la Croix un côté passionné que ni Daniel, ni Rubens ne paraissent avoir entrevu. Est-ce à dire que l’œuvre de Rembrandt soit à l’abri de tout reproche ? Telle n’est pas ma pensée ; tout en reconnaissant ce qu’il y a d’excellent dans l’expression des visages, tout en admirant l’affaissement de la victime, l’empressement attendri des gueux qui déclouent ses mains et ses pieds, je suis forcé de reconnaître que chacun de ces personnages offre à l’œil des lignes souvent disgracieuses. Je passerais volontiers condamnation sur les gueux, qui sont peut-être des croyans faisant office de valets de bourreau, mais il me semble que le Christ pourrait offrir des lignes plus