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devait pas essayer de lutter avec l’Italie pour la pureté des lignes, pour l’élégance des contours, pour la noblesse de l’expression, il s’attachait sans relâche à saisir, à fixer sur la toile les accidens les plus fugitifs ; il épiait, il guettait la lumière, il la suivait jusque dans ses dernières dégradations. Je ne m’étonne pas qu’il ait trouvé plus tard dans cet agent mystérieux de si puissantes ressources ; il avait compris de bonne heure qu’il devait chercher dans l’emploi de la lumière une voie nouvelle, une voie inattendue ; son espérance s’est pleinement réalisée.

On se tromperait pourtant si l’on rangeait Rembrandt parmi les imitateurs naïfs de la nature. Ce fils de meunier qui ne voulait pas entendre parler de la grammaire latine, qui se trouvait heureux dans le moulin de son père et passait des journées entières à étudier, à copier l’ombre d’une branche sur un ruisseau, n’était rien moins que naïf ; il savait bien qu’il ne lui était pas donné de lutter avec la nature. Si la ligne et la forme se laissent aborder, la lumière défie l’imitation. Aussi résolut-il bientôt de tourner la difficulté en éclairant les objets d’une manière toute personnelle, et en effet toutes ses œuvres se distinguent par une distribution de lumière qui n’appartient qu’à lui ; il ne s’est pas contenté de représenter ce qu’il voyait, ou plutôt il n’a pas essayé de le représenter. Désespérant de reproduire sur la toile ce que ses yeux avaient aperçu, il s’est décidé à ne plus voir, à ne plus regarder que ce qu’il pouvait montrer. Il a mesuré avec une précision mathématique la quantité de lumière qu’il pouvait soumettre à sa puissance, et n’a jamais franchi la limite qu’il avait marquée.

Rien au monde n’est moins neuf qu’un pareil procédé ; pour le concevoir et pour l’appliquer, il faut avoir longtemps étudié la nature sans parti pris, sans arrière-pensée, sans doctrine exclusive, en dehors de toutes les traditions d’écoles. Or c’est précisément par cette épreuve laborieuse que Rembrandt se préparait à fonder la méthode qui lui appartient, et, je pourrais ajouter, dont il a emporté le secret, car les plus habiles ont échoué lorsqu’ils ont voulu marcher sur ses traces. Pour la découverte et l’application du procédé que j’ai tâché de formuler, les études faites au moulin de Layerdorp valaient mieux que les leçons de Lastman et de Pinas. Le maître le plus habile n’en dit pas autant que l’observation personnelle. Il y a des ruses que l’atelier n’enseignera jamais et que l’esprit conçoit en présence de la nature. Au moulin de Leyerdorp, Rembrandt n’avait à se préoccuper d’aucune manière, d’aucune tradition ; il copiait de son mieux ce qu’il voyait, et quand, après des efforts multipliés pour imiter ce qu’il avait, devant lui, il comprit toute son impuissance, il abandonna l’imitation pour l’interprétation. Sans prendre le temps