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Dès les premiers jours, le fils du meunier montra les plus heureuses dispositions. Son intelligence rétive, si obstinément fermée lorsqu’il s’agissait d’étudier la grammaire latine, s’ouvrit rapidement pour recueillir les leçons de Swanenburg. Il copiait avec une fidélité surprenante et très rapidement les modèles que son maître lui fournissait. Il possédait une aptitude si merveilleuse pour l’imitation, qu’au bout de quelques mois Swanenburg n’avait plus rien à lui enseigner et le confessait franchement. Le meunier, fier et joyeux des progrès de son fils, ne perdit pas un instant et s’enquit d’un maître plus habile. Après avoir quitté Swanenburg, Rembrandt étudia tour à tour chez Lastman et Pinas. Les ouvrages qui nous restent de ces deux maîtres se recommandent par l’exactitude des détails, mais n’offrent pas un grand charme. Quand on les compare aux ouvrages de leur élève, on voit qu’ils n’ont pu lui enseigner que la pratique matérielle du métier ; quant à l’art de concevoir un sujet, de grouper les personnages, de concentrer l’attention, ce n’est pas dans leurs leçons que Rembrandt l’a puisé. Toutefois, bien qu’il pressentît sans doute l’insuffisance de leur savoir, il se montra docile et assidu, comme s’il eût espéré la révélation de secrets importans. Rembrandt copiait Lastman et Pinas comme il avait copié Swanenburg. Malgré la confiance que lui inspirait son génie précoce, il ne dédaignait pas leur expérience. S’il devinait sa supériorité, il mettait à profit leurs conseils. Animé du désir, soutenu par l’espérance de les surpasser, il suivait fidèlement la voie qu’ils lui indiquaient ; il avait pour eux la même déférence que Raphaël pour le Pérugin.

Cependant Lastman et Pinas devaient s’avouer vaincus au bout de quelques années, et s’ils ne confessaient pas leur défaite aussi franchement que Swanenburg, ils n’essayaient pas de cacher leur admiration pour les ouvrages de leur élève. Satisfaits de la réputation dont ils jouissaient, ils surent fermer leur cœur au démon de la jalousie. En sortant de leur atelier, Rembrandt ne devait plus avoir d’autre maître que la nature. Il le comprit et revint au moulin de son père. L’imitation avait pour lui tant d’attrait, lui offrait un intérêt si puissant, qu’il n’éprouvait pas le besoin de renouveler souvent le sujet de ses études. Un arbre contemplé attentivement aux différentes heures de la journée, éclairé à demi par l’aube naissante, inondé de lumière à midi, doré à la fin du jour par les derniers rayons du soleil couchant, suffisait pour occuper toutes ses facultés. Toutes les faces de la réalité lui étaient bonnes, parce qu’elles avaient toutes quelque chose à lui apprendre. Il serait temps de faire un choix quand il saurait ce qu’il voulait savoir : aussi ne se pressait-il pas de quitter le moulin de son père. Tous les jeux de la lumière trouvaient en lui un observateur attentif et passionné. Comme s’il eût pressenti qu’il ne