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Je me rends garant que le roi George n’a jamais soupçonné l’immortalité de l’âme. Il peut exister à cet égard quelques superstitions plus ou moins grossières parmi ses sujets ; à coup sûr sa philosophie brutale est loin de les partager. Si le roi George se montre débonnaire et pacifique, s’il est généralement réputé comme un good bell man, un bon cœur, ou plus littéralement un bon ventre, ce n’est point qu’il se flatte de trouver dans une autre vie la récompense de sa conduite sur cette terre. Ses vertus politiques ne prennent leur source que dans un heureux naturel, et surtout dans une excessive circonspection. Respecter les hommes blancs et vivre en paix avec les navires qui apportent à Oualan le tabac, les hameçons de nacre et surtout le précieux rhum, voilà les grands principes de morale dont jusqu’ici aucune circonstance n’a pu le faire dévier.

L’indifférence sceptique du roi George semblait avoir gagné le cœur de ses sujets. Rien dans l’île où nous avions abordé ne nous révélait l’existence d’un culte religieux. Le peuple d’Oualan, comme l’affirmait Antonio, n’avait foi qu’aux sorciers, ne croyait qu’aux fantômes et ne respectait que les anguilles. Les légendes si chères aux races polynésiennes, les traditions nationales, conservées partout ailleurs dans les danses et dans les chansons populaires, semblaient ici avoir disparu sans laisser de traces et sans causer de regrets. C’est à cent lieues d’Oualan, sur un autre point de l’archipel des Carolines, dans l’île Pounipel, qu’on retrouve quelques souvenirs d’une histoire primitive qui a dû être commune aux peuples des deux îles, dont l’origine est évidemment la même. Les traditions de Pounipel remontent jusqu’aux jours fabuleux où une race de géans habitait les îles de la Polynésie. C’était une race active, une infatigable famille de travailleurs. Les uns s’occupaient à tailler les montagnes, les autres creusaient des canaux sinueux et des ports, entouraient Pounipel d’une large ceinture de corail, ou remuaient en se jouant les gros blocs de basalte. C’est de cette époque que datent les monumens dont une végétation fougueuse finira peut-être un jour par effacer les ruines, mais qui rappellent encore au navigateur étonné les travaux des Aztèques et ceux des Égyptiens. Toute une ville, bâtie, sans ciment, de prismes pentagones, couvre de ses débris le sol où la génération présente a placé ses tombeaux. Ces ruines sont l’œuvre indestructible des géans. Les indiens de Pounipel n’en approchent jamais sans frémir. Ils racontent que les architectes qui construisirent ces solides murailles, quand ils n’eurent plus de pierres à entasser l’une sur l’autre, se livrèrent bataille et ne songèrent plus qu’à s’entre-tuer. Trois seulement survécurent, un père et ses deux fils. Les enfans entreprirent d’élever un pic aigu qui devait monter jusqu’au ciel. Le père employa ses loisirs à couper l’île en deux ; il ouvrit