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acquises sur tout ce qui dépassait la limite de ses états. Le méfiant despote voyait d’ailleurs en eux le moyen d’éloigner des affaires quelques chefs trop remuans, dans lesquels il avait découvert depuis peu de secrets compétiteurs. Aussi avait-il transféré la plupart des grands offices de la couronne entre leurs mains. Un Indien de Rotoumah, à la peau noire et aux cheveux crépus, était devenu le capitaine de port du havre Chabrol ; entraîné dans sa carrière aventureuse jusque sur les côtes d’Amérique, Tom avait servi dans la cavalerie péruvienne ; il parlait à la fois l’espagnol et l’anglais. Un autre étranger venait des îles Sandwich. Un troisième, Antonio, était né dans les îles Tonga. Un navire américain l’avait abandonné, après un voyage infructueux, sur l’île Pleasant. Cette île, entourée d’un récif presque infranchissable, se trouve jetée au milieu de l’Océan Pacifique comme un écueil. Peu de navires osent s’en approcher. Un convict anglais, le grand Bill, y régnait par le droit de la force et de la violence. Après avoir empoisonné un déserteur français, longtemps son rival et son seul frein, il était parvenu à exercer une autorité absolue sur les naturels. Antonio saisit la première occasion qui s’offrit à lui d’échapper à ce despotisme farouche ; il paya son passage sur un baleinier du prix de cinq cochons et fut déposé à Oualan. Ce malheureux, ainsi ballotté d’île en île, s’exprimait en anglais avec une merveilleuse facilité ; je lui dois la majeure partie des renseignemens que j’ai pu recueillir dans mes conférences avec le roi George.

Le pouvoir n’est pas nécessairement héréditaire dans l’île Oualan. À la mort du souverain, tous les chefs se rassemblent dans la maison commune, celle où sont suspendues les grandes pirogues ; ils n’en peuvent sortir qu’après avoir élu le nouveau roi. Les deux candidats à la succession du roi George étaient, en 1850, son frère Canker et son fils aîné, César ; mais nous ne pûmes obtenir du monarque le plus circonspect de la Polynésie qu’il avouât de quel côté penchaient ses préférences personnelles.

Les attributions de la royauté ne se composent pas, dans ce chétif empire, de vaines prérogatives. Au roi seul appartient le sol d’Oualan et de Lélé. C’est à lui qu’appartient également le monopole du commerce. Dès qu’un baleinier se présente, que ce soit dans l’est ou dans l’ouest de l’île, le roi George est toujours le premier à monter à bord. Il offre des fruits, du taro, des ignames ; il demande en échange du tabac et du rhum. Pour le rhum surtout, il se fait invariablement la part du lion. Ses sujets cependant, émus de ses largesses, le proclament un excellent roi, un habile politique, en un mot, suivant l’expression de la reine, un homme qui a du flair et y voit loin, — a good look out. — Quant au sol, le roi George le divise