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au mouvement moral et politique. L’esprit littéraire se produit sous mille formes différentes, depuis le récit de voyage jusqu’au drame ou à la comédie, depuis la poésie jusqu’à la critique. Quelle séduction plus vive et plus charmante, par exemple, que celle d’un livre fait avec tous les souvenirs, toutes les impressions d’une vie promenée à travers toutes les contrées du monde, et avec un talent, un art de récit difficile à égaler ! C’est là véritablement le genre d’attrait des Scènes et Récits des pays d’outre-mer de M. Théodore Pavie. M. Pavie est un voyageur universel : quelle est la région qu’il n’ait point visitée ? L’Égypte et toute cette partie de l’Orient lui sont familières ; il a vu l’Inde et la Chine ; il a parcouru l’Amérique tout entière, bivouaquant dans la pampa, pénétrant jusqu’au cœur des provinces Argentines, traversant les neiges des Andes, passant en un mot au milieu de tous les spectacles, au milieu de tous les contrastes de la nature morale et physique. Il a connu quelques-uns de ces farouches personnages qui sont la sombre et terrible poésie de ces contrées, Facundo. Quiroga notamment, qui avait été surnommé à Buenos-Ayres le tigre de la pampa. On devine ce que cette vie volontairement adonnée aux excursions les plus lointaines a pu laisser de souvenirs variés, d’impressions vives dans un esprit observateur et fin, dans une imagination délicate et curieuse de nouveauté. Ici d’ailleurs les récits de M. Pavie ne prennent point cette forme directe où le voyageur se met perpétuellement en scène et est le principal personnage qu’il aime à reproduire. L’auteur voyage non pour se voir lui-même, mais pour voir les autres, et c’est d’ordinaire dans le cadre d’une petite histoire, d’une fiction rapide, qu’il fait entrer la description des lieux, la peinture des mœurs, l’étude des passions et des caractères : sorte de drame multiple qui se déroule ainsi en Égypte avec Ismaël Er-Raschydi, dans l’Amérique du Sud avec les Pincheyras ou Pepita, dans l’Inde avec Sougandhie, au Canada avec la Peau d’Ours, sur la côte de Coromandel avec Padmarati, et qui fait éclater dans la vie familière l’originalité diverse des races humaines. Chose plus étrange encore, M. Pavie réussit à faire oublier qu’il est un savant connaissant à peu près toutes les langues des pays qu’il a visités et dont il reproduit quelques scènes. Il ne songe qu’à charmer l’imagination, et ne dit point un mot de l’aiguille de Cléopâtre quand il est en Égypte. C’est ainsi qu’en s’effaçant modestement il réussit à vous intéresser dans un livre qui est tout à la fois un voyage et un roman, une fiction et une peinture exacte de la vie humaine dans ses manifestations les plus variées et les plus caractéristiques.

De tels livres simples et sans faste sont faits pour montrer ce qu’il y a encore de talens fidèles et sûrs, gracieux et charmans, et ce que peut produire cette alliance de l’imagination et de l’observation réelle, dans un genre littéraire dont on a tant usé et qu’on n’a point épuisé. Si le roman, ou plus simplement le récit, a de ces bonnes fortunes trop rares, il n’en est pas toujours ainsi au théâtre, où l’on voit assez souvent mettre en jeu de grands élémens pour aboutir à de médiocres résultats. C’est en réalité l’histoire d’une tentative récente faite pour transporter un roman de M. de Balzac, le Lys dans la Vallée, sur la scène du Théâtre-Français. L’auteur d’Eugénie Grandet n’eut jamais de bonheur au théâtre ; ses œuvres n’en ont point encore aujourd’hui. Il ne gagne pas de batailles après sa mort. Le Lys dans la Vallée n’est point le meilleur roman de M. de Balzac, mais c’est un de ceux où il a sondé le