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et Coligny se jeter avec ardeur dans le parti de la réforme, parce que les Guises étaient catholiques ; on vit dans le siècle suivant Le Tellier et Louvois, ennemis de Colbert, s’acharner à représenter les protestans comme des sujets rebelles, parce que, suivant la juste remarque de Voltaire, Colbert les représentait comme des sujets utiles. Les protestans d’ailleurs étaient riches ; ils possédaient d’importantes manufactures, de grandes propriétés. On vit dans la persécution un moyen de se débarrasser d’une concurrence redoutable, et dans la vente forcée de leurs biens une source de spéculations avantageuses. Une grande partie de la nation encouragea par ces motifs les rigueurs de Louis XIV, et Mme de Maintenon elle-même ne rougit pas de se montrer favorable à la bande noire.

Frappés tout à la fois dans leur conscience. leur liberté, leur fortune, menacés jusque, dans leur existence, les réformés s’obstinèrent néanmoins à espérer ; ils s’étaient habitués depuis si longtemps à regarder Louis XIV comme le père de ses sujets, qu’ils ne pouvaient croire qu’il fût le persécuteur acharné d’une partie d’entre eux. Il fallut bientôt renoncer à cette illusion : la pénalité fut aggravée d’une manière effrayante. Lorsque les huit cents temples du royaume eurent été rasés au niveau du sol, on décréta, contre ceux des réformés qui retourneraient aux anciennes pratiques de leur culte, le fouet, les galères, la marque du fer rouge, la mort. Défense fut faite sous les mêmes peines de quitter le royaume. Il n’y eut d’exception que pour le maréchal de Schomberg, le marquis de Ruvigny et le vieux Duquesne, alors âgé de quatre-vingts ans. Tout espoir était perdu désormais, et cependant les réformés semblaient confirmés dans leur foi par la persécution. Ils résistèrent, obstinément, parce qu’ils se regardaient comme ayant un motif sacré de résister. On eut beau surveiller les côtes, les frontières et les chemins, encourager la délation, promettre des récompenses considérables à ceux qui ramèneraient les fugitifs, envoyer par bandes aux galères, en les chargeant des chaînes les plus gênantes et les plus lourdes qu’on put trouver, les émigrans qu’on était parvenu à saisir ; ils glissaient entre les mains des surveillans et des gardes, et bon nombre de catholiques, attendris par tant de malheurs, favorisèrent leur fuite. Que devinrent ces proscrits qui furent dispersés plus loin que les Juifs ? Quel fut le sort de ces colonies françaises qui se fondèrent à la fin du XVIIe siècle sur tous les points de l’Europe ? Qu’ont-elles fait pour payer l’hospitalité que leur accordèrent l’Allemagne, le Danemark, l’Angleterre, la Hollande, la Suisse et l’Amérique ? Quels élémens nouveaux de prospérité ont-elles portés dans leurs patries adoptives ? Quelles pertes leur éloignement a-t-il fait essuyer à cette terre natale qui les avait si durement repoussées de son sein ? Telles sont les questions qui se posent maintenant à nous avec la récente Histoire des Réfugiés français, et auxquelles nous allons essayer de répondre.

La révocation de l’édit de Nantes était à peine connue en Europe, que tous les états protestans, amis ou ennemis de la France, s’empressèrent, par sympathie religieuse et par calcul politique, d’offrir un asile aux réfugiés. L’Europe entière avait compris le parti qu’elle pouvait tirer de l’émigration. L’électeur Frédéric-Guillaume, pour attirer les réformés proscrits dans le duché de Brandebourg, qui devait devenir bientôt le royaume de Prusse, leur assura, dès le mois d’octobre 1685, par l’édit de Potsdam, un asile inviolable dans