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preuves ; il a parcouru une partie de l’Europe, consulté les archives des églises françaises établies hors de France, les traditions et les souvenirs des familles réfugiées, et après plusieurs années d’investigations, il est parvenu à reconstruire l’histoire complète du protestantisme français en Europe, depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours. Cette histoire, on va en juger, est en bien des points celle même du mouvement des idées et du progrès matériel dans tous les états où s’est portée l’émigration française.


L’edit de Nantes, promulgué en 1598, en assurant aux protestans l’égalité civile, la liberté de conscience, la liberté de la parole et de la plume, mit fin aux guerres de religion, mais sans désarmer les haines religieuses. Les luttes avaient été trop ardentes pour ne point laisser après elles, d’un côté comme de l’autre, des ressentimens profonds. Quoi qu’on ait dit d’ailleurs du scepticisme qui avait pénétré dans la société française à l’époque de la renaissance, l’immense majorité de la nation était très sincèrement, très ardemment catholique. De plus, cette antique idée que le roi de France était le fils aîné de l’église laissait dans une foule d’esprits la conviction qu’on ne pouvait se séparer de l’église sans se séparer du roi, et par cela même on se montrait défiant à l’égard des réformés, car, à une époque où l’esprit d’association était si puissant, on ne croyait pas qu’il fut possible de former une secte sans former en même temps un parti complètement isolé du reste de la nation. L’assemblée de Saumur ne justifia que trop cette défiance ; elle organisa au sein du royaume une véritable république représentative, dirigée par de grands seigneurs et administrée, — pour les affaires religieuses, par les consistoires, les colloques, les synodes provinciaux, les synodes nationaux, — pour les affaires civiles, par les conseils provinciaux, les assemblées de cercles et les assemblées générales. Ces assemblées, sous le règne de Louis XIII, se constitueront souverainement. Celle qui fut convoquée à La Rochelle en 1621 fit une déclaration d’indépendance et partagea le royaume en divers gouvernemens militaires. Les réformés prirent les armes cette même année sans aucune provocation ; ils les prirent encore en 1625, au moment même où la paix avec l’Espagne était rompue, car il semble qu’en France il soit dans la destinée fatale des partis politiques ou religieux de profiter, pour satisfaire leur ambition ou leurs rancunes, des malheurs publics ou des embarras de la guerre.

Cette agression dans un pareil moment, dit M. Weiss, qui ne dissimule jamais les torts, de quelque côté qu’ils viennent, souleva la juste colère du roi. Il était indispensable au salut de la France que les réformés cessassent de former un parti politique. Richelieu résolut de frapper un grand coup. Il fit la paix avec tous les ennemis qui pouvaient l’embarrasser au dehors, dépensa 10 millions pour s’emparer de La Rochelle, dernier boulevard du protestantisme armé, et termina la lutte en 1629 par le traité d’Alais, qui garantissait aux réformés le libre exercice de leur culte. Quand il les eut vaincus et réprimés par les armes, il songea, dit-on, à les ramener dans le sein de l’église par la persuasion ou les faveurs, non par zèle pour la foi catholique, mais parce qu’il craignait qu’en laissant subsister au sein de l’état une croyance dissidente, on ne la vit plus tard se réveiller comme parti. En ce